15/09/2011 Texte

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Faut-il craindre une Constitution d'inspiration islamique en Libye ?

Le numéro 1 du Conseil de transition libyen a déclaré lundi que "l’islam sera la principale source de législation" dans la nouvelle Libye. Si la nouvelle inquiète, il faut savoir raison garder, estiment les spécialistes du monde arabe. L’imminence de la fin du conflit libyen à la suite de la prise de Tripoli en août dernier par les opposants à Mouammar Kadhafi place désormais la question de la future gouvernance du pays sur le devant de la scène. Le chef du Conseil national de transition (CNT), Moustapha Abdeljalil, a ainsi affirmé lundi que l’islam serait la principale source d'inspiration de la nouvelle Constitution du pays - comme sous l'ère Kadhafi -, même si le numéro un du CNT s'est empressé de préciser que le texte aura un caractère "modéré". "Nous n'accepterons aucune idéologie extrémiste de droite ou de gauche, a-t-il déclaré. Nous sommes un peuple musulman, à l'islam modéré, et nous allons rester sur cette voie." S’il a voulu s’appliquer à convaincre que son pays ne serait pas le nouveau foyer islamiste de l'Afrique du Nord, Moustapha Abdeljalil, l’ancien ministre de la Justice de Mouammar Kadhafi, a-t-il pour autant réussi à en persuader les dirigeants occidentaux, qui s'inquiètent de l'utilisation d'une telle rhétorique ? Pour l’heure, c’est plutôt le scepticisme qui domine. Observateur attentif de l’évolution de la situation dans le pays, l'ONU a ainsi enjoint le CNT de donner plus de poids à l’égalité entre les sexes dans la future Constitution. Un islam modéré et ouvert Ces réserves émises par l’Occident à propos de la création d’un état islamique en Libye sont-elles pour autant justifiées ? La société libyenne est, certes, conservatrice et religieuse, mais de là à s’inquiéter d’un péril islamiste, il faut savoir raison garder, estime Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes. "Placer l'islam - une valeur refuge pour un peuple longtemps opprimé - au cœur des lois n’a pas de quoi alarmer", explique-t-il. Il y a deux raisons à cela, poursuit le spécialiste. D’une part, cette déclaration du numéro 1 du CNT ne fait pas partie d'un programme politique mais d'un discours de façade resté somme toute assez vague pour ne contrarier aucune composante de la mouvance anti-kadhafiste. D’autre part, la pratique d’un islam modéré et ouvert réunit la grande majorité des Libyens, estime-t-il. "La déclaration du président du CNT ne devrait pas être une source d’inquiétude outre mesure. En Libye, les musulmans sont des hommes pieux, rarement enclins à pratiquer un islam intolérant et violent", développe-t-il. Différentes lectures de la charia En Occident pourtant, le mot "charia" véhicule bien des clichés. Souvent associé dans l’imaginaire collectif à un système politique basé sur une application stricte de la loi coranique, "l’État islamique" inspire la méfiance. "Les gens confondent encore ‘État islamique’ et ‘État islamiste’", déplore Antoine Basbous. Or, il existe différentes lectures de la charia selon le pays où l’on se trouve. "De nombreux pays musulmans ont en effet instauré la loi islamique, mais en l’appliquant à des degrés divers, et parfois pas du tout", renchérit pour sa part Sylvain Attal, spécialiste de politique internationale à FRANCE 24. "Le Pakistan et l’Afghanistan sont hors catégorie. En Iran par exemple, où la République est islamique, on ne coupe pas la main des voleurs et les cas de lapidation de femme sont rares, même s’ils ne sont pas exclus". Et Antoine Basbous de poursuivre : "Il existe aussi un modèle d’islam modéré en Turquie, un pays qui insiste sur l’intégration des femmes dans la vie politique. Tout est question de regard humain sur un texte sacré", analyse le spécialiste. "La boîte de Pandore est ouverte" Reste à savoir si la composante islamiste, importante au sein de l'ex-rébellion, aura un quelconque impact sur la rédaction de la future Constitution. L’influence de charismatiques chefs militaires comme Abdelhakim Belhadj ou Ismaïl Sallabi - deux personnages qui ont été en première ligne sur le terrain durant le conflit et djihadistes notoires - inquiète. "Ne soyons pas dupes, la boîte de Pandore est ouverte. Il est assez inquiétant de voir ce genre de personnalités rôder autour du pouvoir. Quelle lecture de la charia vont-ils vouloir imposer ? Sauront-ils rester modérés ?", s’interroge Didier Billion, spécialiste du Moyen-Orient à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Reconnaissance des islamistes ? Jusqu’ici cependant, les islamistes anti-kadhafistes n'ont pas donné de véritables raisons de s'inquiéter. Au contraire, ils ont même toujours donné l'impression de vouloir ménager leurs alliés occidentaux. "La future Libye sera reconnaissante aux pays de la coalition de l’avoir aidée à renverser Kadhafi. Même les islamistes sont conscients que sans Nicolas Sarkozy, sans les raids aériens de l’Otan, le 'guide' libyen aurait sûrement maté la révolte", relève Antoine Basbous. À savoir alors si cette "reconnaissance" envers les forces de la coalition perdurera. C’est là toute la question, selon Didier Billion. "Les enjeux stratégiques et économiques qui vont se jouer prochainement peuvent aussi changer la donne pour le pouvoir en place. La realpolitik libyenne pourrait ainsi reprendre le dessus plus rapidement qu’on ne le croit." Un avis que nuance toutefois Antoine Basbous. "La renaissance démocratique de la Libye est un défi immense et complexe, mais peut-être pas irréalisable. Il faut que le peuple libyen reparte de zéro, crée des partis politiques, une presse libre… Il y aura donc certes des bosses sur la route, mais si la Turquie a pu réussir à instaurer une démocratie islamique, pourquoi la Libye n'y parviendrait-elle pas un jour ?", conclut celui-ci. Charlotte BOITIAUX

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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