22/07/2011 Texte

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Les raisons de la colère des Égyptiens

Malgré le remaniement ministériel de jeudi, les contestataires égyptiens ont appelé à de nouvelles mobilisations ce vendredi. Entre mécontentement et frustration, focus sur l'incompréhension grandissante entre militaires et "révolutionnaires". Par Charlotte BOITIAUX "Le profond remaniement ministériel égyptien n’a pas convaincu". Le constat de Sonia Dridi, correspondante de FRANCE 24 au Caire, est sans appel. Pourtant expurgée de nombreuses personnalités politiques issue de l’ère Moubarak, la nomination d'une nouvelle équipe autour du Premier ministre Essam Charaf, forte de quinze nouveaux ministres, n’a pas calmé la colère de la rue qui appelle à de nouvelles manifestations ce vendredi. Tour d'horizon des principaux griefs des Égyptiens à l'égard du régime : • Un remaniement ministériel jugé insuffisant Le maintien en poste d'Abdel-Aziz al-Guindi [ministre de la Justice, NDLR] et de Mansour Issaoui [ministre de l'Intérieur, NDLR], deux personnalités politiques de l'ère Moubarak et non des moindres, a notamment suscité l'ire des contestataires qui réclament leurs têtes depuis plusieurs mois. "Ce sont les deux ministères les plus critiqués par les manifestants", explique Sonia Dridi. "Pour les contestataires, ce n'est pas compréhensible". Malgré l’éviction de nombreux caciques de l’ancien régime et du très décrié Zahi Hawass, ex-ministre des Antiquités accusé de corruption et de pillage, la place Tahrir ne décolère pas. "Tous ces départs ne sont pas jugés suffisants. Il y a aussi Fayza Aboul Naga [ministre de la Coopération internationale, NDLR] et de Hassan Younis [ministre de l’Énergie, NDLR], deux proches de Moubarak, qui sont toujours au gouvernement". Une nouvelle équipe, mais pas encore un nouveau départ. Et pour cause, explique Antoine Basbous, spécialiste du monde arabe, "le cœur du régime est toujours là. Simplement, on change la vitrine, on remplace quelques pièces défectueuses". Selon le spécialiste, l’armée - au pouvoir depuis 1952 - n’a pas intérêt à réformer le système politique en profondeur car "elle ne compte pas vraiment se dessaisir du pouvoir." Pour garder la mainmise sur le pays, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) a voulu conservé ses pions dans le gouvernement. "Il a maintenu le ministre de l’Intérieur parce que c’est un général en qui cette institution militaire a confiance, et il a gardé le ministre de la Justice par souci de commodité au regard des procès à venir car Abdel-Aziz al-Guindi connaît bien la machine judiciaire." Pour Antoine Basbous, la paix entre révolutionnaires et militaires se trouve dans la recherche d'un compromis politique. "Il va falloir un peu plus de réalisme chez les manifestants : jamais ils ne pourront évincer tous les anciens caciques du régime. Et il va falloir un peu plus de bonne volonté de la part du CSFA pour ne pas refaire du Moubarak sans Moubarak." • Lenteur des réformes Annoncées depuis la chute du raïs, les réformes sociales peinent à voir le jour. Le Premier ministre Essam Charaf a pourtant promis dans un discours prononcé le 10 juillet des mesures pour enrayer la crise sociale. Ce dernier avait annoncé à cette occasion que le ministre de la Solidarité devait prendre en charge les problèmes de sécurité sociale, d’éducation, de salaires, de retraites tout en promettant qu’il n’y aurait pas de vacances judiciaires pour les personnes mises en cause dans des violences durant la révolution - au cours de laquelle près de 850 civils ont été tués, selon les statistiques officielles. Mais ces annonces tardent à se transformer en mesures concrètes. "Les gens en ont marre d’attendre le changement, explique Sonia Dridi. Pour eux, rien n’a vraiment bougé depuis l’ère Moubarak". Les responsables de l'ancien régime sont toujours impunis, les procès civils devant les tribunaux militaires - entre 7 000 à 10 000 depuis février, selon des Amnesty international - se multiplient. L'armée, portée aux nues après la démission du raïs, est aujourd'hui la cible de vives critiques. Autre sujet de colère pour les manifestants, une décision de la Cour d’appel du Caire qui a invalidé une première décision permettant de débaptiser les bâtiments gouvernementaux et officiels portant le nom de l’ancien président Moubarak. "C’est là le signe que la haute administration du pays n’a pas encore été purgée du clan Moubarak. Il faudra du temps pour changer l’ADN de l’Égypte", estime Antoine Basbous. • Le procès de Hosni Moubarak Principale revendication des manifestants, le procès de l’ancien dirigeant égyptien qui doit s’ouvrir le 3 août. C'est la condition sine qua non pour que soit définitivement tournée la page de l’ère Moubarak. Mais aujourd’hui, les opposants craignent son report en raison de l’état de santé de l’ancien président égyptien. Moubarak – réfugié à Charm el-Cheikh depuis le mois de février - souffrirait d'un cancer de l'estomac, selon son avocat Farid al-Dib. Un scepticisme que partage Antoine Basbous. "Je vois mal comment ce procès pourrait avoir lieu", estime-t-il. "Non seulement l’homme est malade, mais en plus, son jugement est un véritable dilemme pour l’armée. Le CSFA est conscient que la non-tenue d’un procès serait l’étincelle susceptible de déclencher de nouvelles violences. En même temps, l’armée ne veut pas humilier le plus haut gradé des militaires". Les manifestants qui occupent la place Tahrir au Caire réclament son transfèrement dans la capitale égyptienne et accusent le nouveau pouvoir de se montrer trop complaisant vis-à-vis de l’ancien président. "Les manifestants sentent bien que ce procès risque de leur échapper, et ils ne l’accepteront pas", estime la journaliste Sonia Dridi. "Ils feront tout pour que leurs martyrs ne soient pas oubliés".

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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