13/05/2011 Texte

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«L’Europe a un temps de retard sur le printemps arabe»

Entretien avec Antoine Basbous, fondateur de l’Observatoire des pays arabes

Le Temps: Où en est le monde arabe entre l’enlisement en Libye, la répression en Syrie et les conflits interconfessionnels en Egypte? Antoine Basbous: Il est en pleine ébullition. Evincer un dictateur ne suffit pas, il reste maintenant à installer un Etat de droit, sécuriser le pays, s’ouvrir au tourisme, rassurer les investisseurs étrangers, créer des partis et des règles encadrant les élections, afin de mettre en place une structure démocratique. On ne passe pas d’une dictature à une démocratie automatiquement, les révolutions mettent environ dix ans à se stabiliser. Le changement a été amené par une jeunesse libérale, urbaine, issue de la classe moyenne éduquée. Maintenant, il faut passer des élites aux électeurs. En Egypte, 34% de la population est analphabète, et n’a donc pas accès à Internet ni à Facebook. On atteint là les limites d’Internet. Pour participer à la campagne en Egypte, un parti doit réunir au moins 96?000?scrutateurs. Ce n’est pas Facebook qui va les créer, il faut aussi s’adresser au tiers analphabète de la population. – Les pays européens ont salué le printemps arabe mais, alors que les économies de l’Egypte et de la Tunisie se dégradent et que des migrants affluent à leurs portes, ils se braquent… – L’Europe a un temps de retard sur le printemps arabe, parce que les régimes en place ont pendant longtemps été présentés comme des remparts contre l’islamisme, surtout après le 11 septembre. Elle n’a pas vu surgir la jeunesse porteuse du changement, restée longtemps blottie derrière ses écrans d’ordinateur. Elle a été contrainte de changer de discours. L’engagement en Libye, dans ces circonstances, vise à se racheter une conduite. C’était d’autant plus envisageable que l’image de Mouammar Kadhafi était dégradée dans le monde arabe. Il était plus facile de s’allier contre lui que de réagir dès le premier jour face à Ben Ali et Moubarak. Aujourd’hui, l’Europe soutient les changements dans ces pays, mais elle n’est pas décidée à recevoir toute la misère du monde, au moment où la crise frappe chez elle. Et ceux qui cherchent à immigrer sont des personnes diplômées, ils parlent plusieurs langues, leurs pays devraient pouvoir bénéficier de leur savoir-faire. L’Europe doit entreprendre un vrai effort de soutien à ses voisins de la Méditerranée pour que cette jeunesse trouve satisfaction chez elle, notamment sur le plan économique. C’est un processus long, mais il mérite d’être entamé très vite. – Que devrait faire l’Europe? – Elle pourrait envisager un plan Marshall au profit de ces Etats, à condition qu’ils acceptent de progresser sur la voie démocratique. Elle doit veiller à ce que les nouveaux régimes appliquent les valeurs portées par les révoltes. C’est le moment de dire: «Ne trahissez pas vos principes.» Il faudrait installer un mécanisme qui permette de vérifier le processus électoral, l’application de la transparence et de l’Etat de droit. Cette surveillance doit s’appliquer au moment où le pays élabore une nouvelle Constitution et crée de nouvelles lois. A la fin du mois se tiendra le G8, auquel est conviée la Tunisie. Le premier ministre tunisien [Béji Caïd Essebsi], conscient des enjeux, a enjoint à la population de rétablir la sécurité pour être aidée. – Que diraient les populations concernées d’une telle ingérence? – La réaction, théoriquement, devrait être positive si l’Europe va dans le sens de nouveaux dirigeants et de la jeunesse révoltée, tout en restant fidèle à ses valeurs. Ceux qui ont fait la révolution ont adopté les valeurs, universelles, de la démocratie. L’Europe doit se mettre à leur service sans rien imposer, mais en offrant un accompagnement. – Pourquoi le ferait-elle? – Pour que les jeunes retrouvent un avenir chez eux et non en s’expatriant. Et parce que c’est dans son intérêt. L’avenir de ses voisins de la Méditerranée va peser sur l’Europe. Si cela va mal chez eux, la sécurité européenne s’en ressentira. Le monde arabe fournit plus de 50% des hydrocarbures de la planète. Céline Zünd

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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