29/01/2006 Texte

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Entretien : La victoire du Hamas va obliger le mouvement à clarifier sa doctrine

Hamas à la turque ou Hamas à l'iranienne ?

« Sud Ouest Dimanche ». Comment expliquer un tel raz-de-marée du Hamas ?

Antoine Basbous. Sa victoire, il la doit d'abord à l'échec du Fatah, à son usure et sa corruption. Quinze mois après sa mort, Yasser Arafat est enterré une deuxième fois.

Mais Arafat n'avait-il justement pas suscité au sein de son parti les dissensions qui ont conduit à ce séisme ?

Il a effectivement géré le Fatah de façon tribale, facilité le chaos et attisé les baronnies. Encore vivant, le chef légitime pouvait arbitrer les conflits; une fois mort, les règlements de compte, parfois armés, ont éclaté. Dans le même temps, le Hamas, très présent depuis vingt ans, envoyait non seulement des kamikazes mais s'était aussi arrogé des prérogatives importantes dans les domaines caritatifs, sociaux et éducatifs. Ce travail de fond a fait son oeuvre.

Que devient Mahmoud Abbas dans ce paysage politique bouleversé ?


Il est évidemment très fragilisé. Dans un premier temps, il sera un pont indispensable avec Israël et l'Occident parce que les caisses sont vides, que le quotidien dépend des aides internationales et qu'il faut négocier avec Tel-Aviv les apports journaliers d'eau et d'électricité dans les Territoires et à Gaza. Mais va-t-il indéfiniment supporter le Hamas ? Je n'en suis pas certain, d'autant qu'on le dit fatigué et déprimé depuis quelques mois. Il pourrait finir par claquer la porte.

Le Hamas peut-il immédiatement gouverner ?

La question se pose. Si l'homme fort de Gaza, Ismaïl Haniyeh, devient Premier ministre, comment va-t-il aller à Ramallah, alors qu'une autorisation israélienne est obligatoire pour se déplacer dans les Territoires ? Le Hamas va donc devoir abandonner ses rigidités pour faire face à ce type de réalités. Il se pourrait aussi qu'il tente très vite d'attirer des dissidents du Fatah pour occuper des postes de fréquentation internationale.

Qui domine le Hamas ?

Il y a au moins deux Hamas et la grande interrogation est de savoir lequel l'a remporté. Il y a d'abord celui du commandement, la branche dure, basée à Damas et à Téhéran, alignée sur les politiques syrienne et iranienne. Il est représenté par Khaled Mechaal et son relais en Palestine, Mahmoud Zahar. Le second s'inspire de l'islamisme dans une version plus « douce », qui se rapproche de l'APK turc, actuellement au pouvoir à Ankara, avec Recep Tayyip Erdogan. Son leader est Ismaïl Haniyeh, qui peut se révéler pragmatique et susceptible d'infléchir la doctrine du mouvement radical.

Cette victoire n'a-t-elle pas au moins pour effet positif de faire rentrer une organisation classée terroriste dans le processus politique ?


Elle va au moins permettre une clarification, car la démagogie va trouver ses limites. Le Hamas est dans l'impasse en ce qui concerne sa volonté de détruire l'Etat hébreu. L'Histoire a déjà montré que quelques malheureux missiles et des kamikazes n'y sont pas parvenus. S'il tient donc le même discours que quand il était dans l'opposition, il va droit à l'échec, parce que les Palestiniens dépendent économiquement des Israéliens et de la communauté internationale.

Ira-t-il jusqu'à reconnaître Israël ?

Sans trop se déjuger, il va rapidement trouver une formule pour entériner un état de fait.

Quelle est la société rêvée par le Hamas ?


C'est celle inspirée par la charia. J'ai entendu une candidate prôner une loi qui obligerait toutes les femmes à se voiler. Si cette tendance l'emportait, ce serait à l'évidence une régression. Mais attendons de voir si ces harangues ne se résument pas à des propos de campagne. Le Hamas sait très bien qu'une grande partie de ses électeurs a d'abord rejeté le Fatah.

Ce résultat n'est-il pas le révélateur de la montée des islamistes au Moyen-Orient ?

Je dirais même que c'est un test pour toute la région. Car cela montre que s'il y avait des élections démocratiques dans l'ensemble des pays arabes, ce sont eux qui l'emporteraient. Une consultation dans les règles de l'art en Egypte n'aurait pas donné 20 % des voix aux Frères musulmans mais 80 %.

Cette nouvelle donne va-t-elle avoir un impact sur les élections israéliennes ?

Tout dépend de la réponse du Premier ministre Ehoud Olmert et de sa capacité à rassurer son peuple. Pour l'instant, c'est surtout le coma prolongé d'Ariel Sharon qui profite à Kadima.

Est-ce une nouvelle épine dans le pied de George W. Bush ?

La balle est plutôt dans le camp du Hamas, c'est lui qui doit s'adapter pour obtenir un soutien américain et rappeler à Bush qu'il avait promis un Etat palestinien à la fin de 2005. N'oublions pas que c'est la nouvelle doctrine américaine, obligeant les pays arabes à créer les conditions d'une meilleure approche démocratique, qui lui a permis d'accéder au pouvoir. Le Hamas doit faire les premiers pas. Il y a à peine deux mois, Khaled Mechaal se trouvait à Téhéran et s'est aligné sur les propos d'Ahmadinejad qui niait l'Holocauste. Ce jour-là, il n'a pas rendu grand service à son mouvement.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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