22/12/2004 Texte

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“La disparition d’Arafat a été un soulagement pour l’Egypte”

Liberté : Pensez-vous que la disparition de Yasser Arafat entravera le processus de paix ?

M. Antoine Basbous :
J’ai le sentiment qu'Arafat a été l’un des principaux obstacles à l’avancée du processus de paix. L’homme était devenu prisonnier d’une stratégie personnelle qui tendait à inscrire son nom dans l’histoire et refusait toute concession dictée par le rapport des forces. Il est vrai qu’il avait affaire à un adversaire très structuré, disposant d’alliances majeures et très déterminé à faire aboutir sa stratégie. La disparition d’Arafat a fait sauter un demi-verrou car la paix ne dépend pas que des Palestiniens. Elle dépend surtout de ce qu’Israël est susceptible de donner aux Palestiniens — alors qu’il n’est pas contraint de le faire par la force — pour satisfaire leurs revendications légitimes d’un Etat indépendant dans des frontières arrêtées par la communauté internationale et qui seront reconnues par l’ensemble des pays de la région. Avec Arafat, la militarisation de l’Intifadha et la création de multiples organisations palestiniennes armées, dont il supervisait en sous-main les missions, telle la branche armée du Fatah, avaient permis à Israël de justifier à la fois son action répressive de l’Intifadha armée au nom de la sécurité de l’Etat hébreu et de ses citoyens et son développement des colonies et la construction du mur. ہ mon avis, les Palestiniens auront plus à gagner en rassurant les Israéliens, comme l’a fait Sadate, que de tenter de les terroriser à la façon du Hamas et du Djihad. Car le rapport des forces est très défavorable aux Palestiniens.

Croyez-vous à l’empoisonnement de Yasser Arafat ?

A l’heure actuelle, toute réponse ne peut être que de la spéculation. Néanmoins, c’est essentiellement par des révélations israéliennes que nous serons éclairés un jour sur l’empoisonnement ou la mort naturelle d’Arafat. Car dans ce pays, les secrets ne sont pas très bien gardés et la presse fait toujours des révélations fracassantes. ہ l’heure actuelle, les autorités françaises ont clairement nié tout empoisonnement car les deux analyses pratiquées sur les tissus d’Arafat se sont révélées négatives. A-t-il été néanmoins empoisonné par des substances inconnues à ce jour ? La question mérite d’être posée. Sharon a-t-il décidé d’éliminer Arafat par la ruse, alors qu’il avait été empêché par Washington de le tuer ou de le chasser de Ramallah ? C’est une question qui mérite aussi d’être posée et à laquelle personne ne dispose actuellement de réponse crédible. Laissons à l’avenir la charge de nous apporter l’éclairage attendu sur cette question.

Quel est votre pronostic sur l’issue des élections en Palestine ?

Jusque-là, tout a l’air de bien se passer. Exception faite de la démonstration de force à laquelle nous avons assisté à Gaza à l’occasion des condoléances que recevait Mahmoud Abbas, au lendemain de la mort d’Arafat. L’actuel chef de l’OLP a failli y laisser sa vie. Depuis, nous avons assisté à plusieurs démarches de politiques intérieures et internationales, qui pourraient influencer le résultat du scrutin. La tournée de Mahmoud Abbas dans les pays arabes a eu pour effet de réconcilier les Palestiniens avec leurs voisins, à commencer par l’Egypte. Le Caire soutient activement Abbas et plaide sa cause dans les capitales arabes, ainsi qu’à Tel-Aviv et Washington. J’ai eu le sentiment au Caire, où je me trouvais il y a encore quelques jours, que la disparition d’Arafat a constitué un vrai soulagement pour l’Egypte, qui a maintenant repris son rôle de médiateur parce qu’elle pense qu’il existe une vraie opportunité de paix. L’accélération de la normalisation israélo-égyptienne s’inscrit dans ce rôle de pionnier que compte jouer l’Egypte. Les visites d’Abbas aux capitales arabes ont permis de tourner la page de l’alignement d’Arafat sur Saddam pendant l’invasion du Koweït en 1990 et de retrouver plus de sérénité dans les relations avec la Syrie et le Liban. Abbas peut espérer l’accroissement de la générosité des donateurs arabes du Golfe à l’avenir. De ce paysage, on peut penser que les pays arabes “voteraient” pour Mahmoud Abbas, alors que l’opinion publique palestinienne serait partagée entre, d’une part, les radicaux, qui veulent poursuivre l’Intifadha jusqu’au retrait israélien de la Cisjordanie et de Gaza, et, d’autre part, la majorité des Palestiniens qui est épuisée par cette deuxième Intifadha militarisée, laquelle a réduit ses capacités de survie dans un environnement supportable. La pauvreté croissante, les infrastructures, le chômage en Palestine sont devenus insupportables pour les familles. Nous avons enregistré depuis 2003 de multiples appels de représentants de la société civile pour démilitariser l’Intifadha.

Quelle est l’influence des Américains et de l’Union européenne sur ces élections ?

L’influence de l’Europe et des Etats-Unis passe par trois facteurs :

1 - des pressions exercées sur Israël pour que l’Etat hébreu laisse les élections se dérouler dans des conditions honorables et crédibles ;

2 - le financement du processus électoral par les Occidentaux ;

3 - l’envoi d’observateurs qui supervisent le déroulement de ces élections.

Le plus important de tout cela est qu’Israël autorise les Palestiniens de Jérusalem à voter, qu’il retire ses multiples barrages qui découpent en petits morceaux le territoire palestinien pour permettre aux citoyens de se déplacer et de voter. Ils doivent veiller à écarter toute provocation qui nuirait au bon déroulement de cette échéance capitale.

Au cas où il serait élu, pensez-vous que Mahmoud Abbas serait l’homme qui signera la paix avec l’Etat hébreu ?

A l’heure actuelle, tout laisse penser que Mahmoud Abbas serait le prochain président de la Palestine. Cet homme a été l’un des pères de l’accord d’Oslo et il a été de toutes les négociations secrètes et publiques avec l’Etat hébreu. Il avait, dès le départ, critiqué la militarisation de l’Intifadha, eu égard au rapport de force entre Israël et les Palestiniens. Il serait prêt intellectuellement à signer la paix avec Israël mais pas à n’importe quelles conditions. Il faudrait qu’il puisse englober la partie arabe de Jérusalem à la future Palestine et trouver une solution aux trois lieux saints qui satisfasse les trois religions monothéistes. Il faudrait aussi trouver une solution à la colonisation de la Cisjordanie puisque Gaza sera évacuée. Les colonies découpent le territoire palestinien en plusieurs morceaux. Il y a également la question des réfugiés. Là, je pense que ce problème serait plus simple à résoudre qu’on ne l’imagine puisque l’une des toutes premières résolutions de l’ONU avait évoqué, soit le retour des réfugiés palestiniens dans leur foyer, soit leur indemnisation. Aujourd’hui, le retour des Palestiniens en Israël transformerait la nature de l’Etat hébreu par une majorité démographique palestinienne. En revanche, la solution de cette crise doit s’inscrire dans un contexte international où une solution serait trouvée : d’une part, la future Palestine recevrait autant qu’elle le voudrait de réfugiés palestiniens de l’étranger ; les autres seraient indemnisés par Israël et la communauté internationale et trouveraient une place de citoyens dignes, détenteurs de passeports palestiniens ou de passeports de l’Etat dans lequel ils vivent. Mais dans cette partie de négociations, la solution dépendra davantage d’Ariel Sharon et du gouvernement israélien — qui doivent faire des concessions majeures — que de la volonté de Mahmoud Abbas.

Abbas espère démilitariser l’Intifadha. Comment se présente, à vos yeux, son entreprise, notamment face aux partis radicaux palestiniens ?

La première tâche de Mahmoud Abbas sera de s’imposer comme étant l’unique porte-parole de la Palestine et des Palestiniens. Il doit avoir le monopole des pouvoirs sans risquer de voir des organisations décider de la guerre au nom des Palestiniens en s’appuyant sur une légitimité, soit religieuse, soit nationaliste. Il doit pouvoir s’imposer. Ses forces de sécurité doivent détenir l’exclusivité de la détention et donc de l’usage des armes en Palestine. De ce fait, sa première bataille concerne sa reconnaissance chez lui. Cette perspective le mettrait en difficulté avec les organisations islamistes palestiniennes telles que le Djihad et le Hamas, mais également avec la branche armée du Fatah qui se trouve aujourd’hui plus proche du Hamas — avec lequel elle mène des opérations militaires communes — qu’avec le Fatah et les barons de l’OLP, rentrés de Tunis avec Arafat, en 1994. La tâche de Abbas est loin d’être facile. Mais il ne pourra pas se présenter en interlocuteur valable et crédible d’Israël, de l’Union européenne, des pays arabes et des Etats-Unis sans qu’il ait réussi à s’imposer sur la scène palestinienne. Il ne faudrait pas que demain n’importe quelle organisation, pilotée depuis Damas ou Téhéran, puisse décider de torpiller d’éventuelles bonnes relations israélo-palestiniennes et de détourner un processus qui a du mal à se poursuivre, pour servir l’agenda d’une puissance étrangère. Donc, Abbas doit faire ses preuves d’abord avec les siens avant de pouvoir se présenter comme le président crédible des Palestiniens sur la scène.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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