23/03/2004 Texte

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“Les hommes du Hamas vont venger violemment la mort de leur chef”

Liberté : Hier matin, l’armée israélienne a assassiné le guide spirituel du mouvement palestinien Hamas. Comment expliquez-vous cet acte ?

Antoine Basbous :
Au fil des mois, nous sommes entrés dans une logique d’accélération de la violence. Une escalade entretenue par les deux parties en conflit. Les Israéliens ont déjà assassiné Abou Chaneb l’été dernier, ils ont raté Al-Rantissi à la même période et ils ont tenté, en septembre 2003, d’éliminer le cheikh Yassine, en vain.
Les Israéliens ont annoncé à plusieurs reprises leur intention d’éliminer les principaux dirigeants de la mouvance armée palestinienne, notamment ceux du Hamas et du Djihad. Une stratégie destinée peut-être à éviter que leur retrait annoncé de la bande de Gaza ne soit présenté comme une victoire des islamistes et de la méthode des kamikazes.

Mais cet assassinat ne va-t-il pas provoquer de nouvelles attaques de la part du mouvement Hamas ?

Antoine Basbous : Il est aujourd’hui certain que les hommes du Hamas vont venger violemment la mort de leur chef spirituel. C’est inéluctable : leur réponse sera lourde. Ils vont essayer de frapper le plus fort possible pour faire payer à l’État d’Israël un prix très élevé.

Cet acte de l’armée israélienne affaiblit-il davantage la position l’Autorité palestinienne et de Yasser Arafat ?

Antoine Basbous : Avant même l’assassinat du cheikh Yassine, l’Autorité palestinienne était déjà très affaiblie. Sa colonne vertébrale, le Fateh, est divisée. Yasser Arafat est contesté y compris au sein même de son propre mouvement. Il a de sérieuses difficultés avec son Premier ministre, son gouvernement, les bailleurs de fonds occidentaux et même les dirigeants arabes. Arafat survit par défaut. En réalité, il ne dirige plus grand-chose au sein du peuple palestinien. Mais il reste une “icône”. En revanche, le Hamas a plus de crédit dans sa démarche et plus de cohérence. Il est aussi moins corrompu. L’assassinat de cheikh Yassine va sans doute donner au Hamas une nouvelle opportunité pour renforcer sa position dans la bande de Gaza, notamment après le retrait de l’armée israélienne.

Yasser Arafat sera-t-il la prochaine cible de l’armée israélienne ?

Antoine Basbous : Je ne crois pas que cela sera le cas, dans un avenir immédiat. Le gouvernement de Sharon a certes menacé à plusieurs reprises de liquider physiquement le président palestinien. Mais je pense que Yasser Arafat est protégé par un accord tacite passé entre Washington et ses alliés arabes, notamment l’Égypte et l’Arabie Saoudite. Pour ne pas mettre en difficulté leurs meilleurs alliés dans la région, les Américains ont donc interdit à Israël de le tuer ou de l’expulser des Territoires autonomes. Une consigne que Tel-Aviv va respecter. Hier, l’Union européenne a fermement condamné l’assassinat de cheikh Yassine alors que les États-Unis se sont contentés d’appeler les deux parties à la retenue.

Comment expliquez-vous ce décalage entre les deux positions ?

Antoine Basbous : Les États-Unis considèrent le mouvement Hamas comme une organisation terroriste. Pour eux, cheikh Yassine était un chef terroriste qui émettait des fetwas autorisant des attaques suicides contre des civils. L’Europe n’a intégré la branche politique du Hamas dans sa liste d’organisation terroriste que récemment.
Mais les Européens continuaient à voir en la personne de cheikh Yassine un dirigeant politique qui n’agit pas sur le terrain. Et surtout l’Europe cherche toujours à calmer le jeu pour donner un maximum de chances au processus de paix. Ce qui n’est pas le cas des États-Unis : en cette période préélectorale, George W. Bush n’a plus les moyens de peser sur le gouvernement israélien.

Propos recueillis par Lounes Guemache

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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