03/02/2011 Texte

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"Moubarak représente aujourd'hui un boulet pour les États-Unis"

Washington a demandé au raïs une "transition pacifique et immédiate". L'administration Obama a du mal à convaincre son allié.

L'administration Obama a condamné les violences contre les manifestants en Égypte et "réclame une transition politique pacifique dès maintenant". Les États-Unis lâchent leur allié historique au Moyen-Orient. Antoine Basbous, fondateur et directeur de l'Observatoire des pays arabes, nous explique qu'il n'est pas si facile de se débarrasser du chef de l'État égyptien. Le Point.fr : Que représente Hosni Moubarak pour les États-Unis ? Antoine Basbous : L'homme a représenté un allié indéfectible, quoique difficile, peu malléable et qui cherchait à sanctuariser son régime. Aujourd'hui, il représente "un boulet" dont il va falloir se séparer pour sauvegarder le régime et sa fonction. Moubarak avait troqué deux choses avec les États-Unis. Il disait aux Américains : "Je suis votre allié régional pour les questions israélo-arabes, et sur l'Iran", mais vous me "lâchez les baskets" chez moi. George Bush a tenté, lors de sa campagne de démocratisation du Grand Moyen-Orient, d'imposer à l'allié égyptien une certaine transparence lors des élections législatives en 2005, qui avaient vu les Frères musulmans obtenir 20 % des sièges, c'est-à-dire 88 députés. Ils auraient pu être majoritaires, mais il y a eu, pour le deuxième et le troisième tour, un frein administratif. Les Européens sont ensuite intervenus pour alerter George Bush qu'à chaque fois que le champ politique s'ouvrira, eh bien, on retrouvera les islamistes et qu'il faut préparer le terrain pour instaurer autre chose que les partis islamistes face aux palais. Mais Bush, commençant à perdre pied en Irak, a renoncé à son projet de démocratisation du Grand Moyen-Orient. Aujourd'hui, on se retrouve avec la coupole de la mosquée et celle du palais et, entre les deux, il y a un désert politique en raison de l'interdiction des partis politiques. Le Point.fr: Cette crise prend-elle au dépourvu les Américains ? Antoine Basbous: Il n'y a pas que les Américains qui aient été pris au dépourvu. WikiLeaks a montré que les États étaient conscients de la nature des régimes mais n'étaient pas forcement conscients que la poudre allait s'enflammer à la première étincelle. Le Point.fr: Dans quelles mesures les États-Unis peuvent-ils peser sur une "transition démocratique" dans le pays ? Antoine Basbous: Les États-Unis accordent depuis trente-deux ans l'équivalent de deux milliards de dollars par an à l'Égypte en aide civile et militaire. De quoi leur laisser penser qu'ils peuvent demander l'accélération de la transition politique et réduire ainsi les manoeuvres de Moubarak et de ses hommes. Les Américains n'ont pas envie d'une guerre d'usure, d'instabilité, ils souhaitent se donner une bonne image dans le monde arabe et islamique en montrant qu'ils soutiennent les aspirations des peuples, la libéralisation des régimes et la démocratisation du régime égyptien. Le Point.fr: Le discours offensif de la diplomatie américaine peut-il se retourner contre les États-Unis ? Antoine Basbous: Moubarak tire profit des conseils appuyés des Américains, car il y a une frange "nassérienne" et nationaliste arabe qui, quand les Américains disent "noir", a envie de dire "blanc". Cela peut donner à Moubarak une certaine légitimité à repousser les dictats américains. Il peut s'en servir au moment où ses adversaires l'accusent d'être le jouet des Américains. Le Point.fr: L'émergence d'une démocratie moins favorable aux États-Unis et plus sensible à la cause palestinienne est-elle plausible ? Antoine Basbous: L'armée égyptienne est actuellement la colonne vertébrale du régime. Je ne suis pas sûr qu'à l'issue des évènements en cours elle perde sa place. À mon avis, elle est destinée à manoeuvrer pour sauver le régime et, si elle reste au pouvoir, la ligne géostratégique adoptée par Moubarak restera inchangée. Le Point.fr: Que penser de la nomination à la vice-présidence d'Omar Souleimane, soutenu par les Américains ? Antoine Basbous: Ce poste était réservé à Gamal Moubarak pour qu'il puisse succéder à son père. Et comme ce dernier ne s'est pas hâté d'organiser cette succession, son fils ne sera pas son héritier. Omar Souleimane, c'est l'homme providentiel. Il représente l'armée, il s'est imposé, et Moubarak a toujours aimé travailler avec lui. Il connaît tous les dossiers intérieurs et extérieurs, il a la confiance des interlocuteurs privilégiés de l'Égypte et il a la capacité d'assumer la succession de Moubarak. Le Point.fr: L'ancien ambassadeur américain en Égypte Franck Wisner a été envoyé par Barack Obama pour convaincre Moubarak de passer la main en douceur à son vice-président. A-t-il des chances de réussir ? Antoine Basbous: C'est mal connaître Moubarak et l'Égypte ! Une gifle administrée à Moubarak, c'est une gifle adressée à l'armée. Il ne partira pas dans la précipitation, mais il peut s'éclipser en ayant sauvé la face. Tout cela est une affaire de rapport de force. L'armée ne veut pas humilier son commandant en chef et son représentant à la tête du pays. Actuellement, Moubarak et l'armée rusent pour faire avorter la révolte, mais il peut y avoir une position intermédiaire : Moubarak peut, tout en restant président officiel, s'occuper davantage de sa santé et confier les rênes du pouvoir à son vice-président. Propos recueillis par Jamila Aridj

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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