09/09/2010 Texte

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La guerre d’usure post-11 Septembre

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Neuf ans après le 11 Septembre, le monde est-il devenu plus sûr ou moins sûr qu’avant cette attaque majeure ? La France et l’Europe sont-elles désormais mieux protégées depuis les attentats de Madrid et de Londres ? Et que penser des récentes menaces très explicites formulées à l’encontre de Paris par la branche maghrébo-sahélienne d’Al-Qaïda (Aqmi) ? S’il est évident que la dynamique islamiste reste en vogue et qu’elle se déploie au grand jour de Kaboul à Bamako, elle est en revanche mieux connue et plus ardemment combattue à travers le monde. Depuis le 11 Septembre, plusieurs tabous sont tombés. L’Occident est devenu plus regardant quant au comportement de ses ennemis comme de ses alliés, tels que l’Arabie. Celle-ci a dû réviser sa politique dans le déchirement, car il n’était pas aisé de se retourner contre ceux-là même qu’elle a formés et financés pour exporter sa doctrine d’Etat, le wahhabisme, sans donner le sentiment d’un total reniement. Le pas a été franchi dès les attaques terroristes de Riyad, le 12 mai 2003. La dynastie avait alors compris qu’elle était une cible prioritaire pour les terroristes qu’elle a engendrés et qui veulent sa perte. Si l’Arabie a bien engagé la lutte antiterroriste, Al-Qaïda a enregistré une expansion très visible dans des pays où l’Etat est, soit en faillite, soit très affaibli. Le Yémen et la Somalie en sont une illustration. Il y a également des régimes qui sont dans la complicité, tels le Pakistan, puissance nucléaire, ou le Mali, qui ferme les yeux sur le sanctuaire de l’Aqmi installé dans le nord du pays et qui vit de rackets, de trafics et des rançons versées par des Etats européens pour délivrer leurs otages. Il y a par ailleurs des pays où cette mouvance combat les forces étrangères et, le plus souvent, d’autres Musulmans, qui ne partagent pas exactement la même foi, comme en Irak. Dans ce pays, les attaques d’Al-Qaïda ont ciblé dix fois plus les Chiites et les forces de l’ordre, ou les Sunnites des Sahwa, qu’ils n’ont visé l’armée américaine, désormais invisible dans les villes depuis le retrait de ses troupes combattantes en août dernier. L’activisme des islamistes est inversement proportionnel à la force des Etats islamiques. Mais certains régimes ne se privent pas de manipuler les premiers pour s’en servir contre leurs adversaires. La Syrie et l’Iran sont de ceux-là et instrumentalisent Al-Qaïda à leur guise. Toutefois, la coopération est bien réelle entre les Etats occidentaux et la plupart des Etats islamiques, qui partagent un intérêt commun à lutter contre l’islamisme qui les menace indistinctement. Aujourd’hui, nous assistons à un phénomène paradoxal. L’islamisme activiste est plus répandu, mais il est surtout plus éclaté, car les communications sont quasi-interrompues entre Ben Laden et ses lieutenants qui se terrent à la frontière afghano-pakistanaise et se coupent de leurs branches, malgré Internet, pour échapper à leurs traqueurs. De ce fait, les filiales d’Al-Qaïda tentent d’improviser, d’innover, de se distinguer, d’échapper à la manipulation des services de renseignement et de survivre. Simultanément, les pays occidentaux ont développé un arsenal sécuritaire pour se mettre à l’abri d’attentats islamistes. L’anticipation a permis de sanctuariser leurs capitales – à l’exception de la Russie – et leurs intérêts à travers le monde, alors que les principaux fronts du terrorisme se situent dans les pays islamiques. Mais personne ne sait le nombre des cellules dormantes implantées en Occident. Toutefois, ce constat reste fragile : les terroristes ne manquant pas d’imagination pour développer de nouveaux modes opératoires, tels que « la bombe suppositoire » qui a failli coûter la vie au chef de la lutte antiterroriste en Arabie. Les responsables de la sûreté aérienne ont des sueurs froides, en pensant que ce procédé puisse être utilisé contre les avions civils. L’enlisement dans la « guerre contre le terrorisme » a coûté très cher à l’économie occidentale. Nous ne pouvons pas dissocier la crise financière en cours des retombées du 11/9. Le conflit prend l’allure d’une « guerre d’usure » asymétrique, qui s’installe dans la durée. Le premier enseignement à tirer de l’expérience de cette décennie est celui de privilégier le Renseignement, au détriment des guerres classiques, et de renforcer l’alliance entre l’Occident et les Etats islamiques pour lutter contre le terrorisme. Quant aux menaces explicites d’Aqmi contre la France, elles ne sont pas nouvelles. Les précédentes sont restées lettre morte. Mais, par le raid franco-mauritanien du 22 juillet, qui a raté son objectif premier – la libération de l’humanitaire français Michel Germaneau – tout en éliminant sept terroristes, l’implication militaire directe de la France au Sahel a démontré les capacités d’action autonome de Paris dans cette zone mais en a fait un « belligérant » à part entière ; elle a également provoqué la critique de pays alliés tels que l’Algérie, qui refuse « l’ingérence », ou encore la colère d’Aqmi, qui promet de venger ses morts et de s’en prendre aux ressortissants et intérêts français. Il va de soi qu’un succès aurait suscité admiration et applaudissements, comme lors d’un raid contre les pirates somaliens. Mais, comment reprocher à Paris une tentative de libération autrement qu’en versant une rançon et en exerçant des pressions sur des pays africains pour élargir des terroristes condamnés au moment où la coopération régionale, animée par l’Algérie, reste pour le moment sans portée réelle ? Il ne faut pas se voiler la face : les libérations d’otages se font, soit par la force, soit par le versement d’une rançon qui prend souvent des voies détournées pour brouiller les pistes et dégager la responsabilité des Etats. Notons que le « prix » exigé par Aqmi pour la libération d’un otage a été multiplié par sept, en quelques mois ! Il n’y a pas de solution magique pour réduire du jour au lendemain la menace terroriste aux portes méridionales de l’Europe. Le processus sera long et difficile et empruntera immanquablement la voie d’une coopération régionale accrue avec l’assistance – discrète, de préférence – de pays occidentaux, qui disposent de moyens et de savoir-faire. Il y va de la sécurité et de la stabilité de tous les pays de la Méditerranée et du Sahel. Toutefois, la répression ne peut être la seule solution. Elle doit s’accompagner d’un développement économique dont les effets seront lents à se faire sentir. Sans oublier que la condition première pour vaincre le terrorisme consiste à désamorcer la doctrine belliqueuse qui le nourrit. Les intellectuels musulmans tiennent le premier rôle dans cette tâche. Aussi, ils sont indispensables pour rétablir l’image de l’Islam, écornée par tant de violences depuis le 11 Septembre. Antoine Basbous, Fondateur et directeur de l’Observatoire des Pays Arabes

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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