06/01/2010 Texte

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Terrorisme : l’Occident piégé au Yémen

L'Occident ne doit pas tomber dans le piège tendu par l'alliance de circonstance de l'Iran et Al-Qaïda

Pour le directeur de l’Observatoire des pays arabes, l’Occident ne doit pas tomber dans le piège tendu par l’alliance de circonstance de l’Iran et al-Qaida. Brutalement, le Yémen a été propulsé sur le devant de la scène médiatique internationale, le jour de Noël, parce qu’un Nigérian qui a été entraîné dans ce pays a tenté de faire sauter un avion américain au-dessus de Detroit. Auparavant, ni l’usure d’un régime usé et corrompu, dont l’initiateur, Ali Abdallah Saleh, a confisqué le pouvoir il y a trentedeux ans, ni les dizaines de milliers de morts et de blessés tombés depuis 2004 dans le conflit avec la rébellion des Houthis (chiites pro-iraniens) de Saada (Nord), ni la contestation sécessionniste du Sud, encore moins l’installation progressive d’al-Qaida dans le pays dont sont originaires les Ben Laden, n’avaient ému les dirigeants de la planète. Le réveil est cauchemardesque : un État failli, qui perd le contrôle de son nord, se déchire dans le sud et est concurrencé dans le centre par al-Qaida, lequel tire pleinement profit des structures tribales ; des riches monarchies du Conseil de coopération du golfe qui ont, jusque-là, tenu le Yémen en quarantaine, refusant de lui venir en aide et d’y investir ; enfin, les recettes de ses exportations pétrolières qui ont chuté de 4,2 à 1,5 milliard de dollars au cours des dix premiers mois de l’année 2009, en raison de la chute du prix du baril et de la diminution des volumes exportés. Pis encore, le régime du président Saleh a été complice des Houthis, qu’il a financés dès 1994 pour réduire l’influence du prédicateur salafiste Mokbel el-Wadiï ; de même qu’il a soutenu la mouvance islamiste dans son djihad en Afghanistan (1979-1989) avant d’en instrumentaliser les leaders. L’ancien vice-président de la République, Cheikh Zandani, un ancien du djihad afghan, préside l’université al-Imane, une pépinière du djihadisme. Ces « liaisons dangereuses » entre le régime et l’islamisme radical ont abouti, en 1992, au plastiquage d’un hôtel abritant des militaires américains, puis à l’attaque, en 2000, du destroyer USS Cole dans le port d’Aden. Non seulement les Yéménites ont sa famille. S’il a toujours été prompt à proposer de réformer le Conseil de sécurité de l’ONU ou la Ligue arabe, il n’a jamais semblé pressé de réformer son pays ou de se réconcilier avec les franges hostiles de son peuple. Aujourd’hui, deux parties se réjouissent du naufrage yéménite : l’Iran et alQaida. Téhéran s’ingénie à déstabiliser ses voisins arabes pour faire diversion sur le dossier nucléaire. Sans doute l’Iran a-t-il poussé les Houthis, en novembre dernier, à attaquer l’Arabie, violant délibérément ses fourni au djihad un grand nombre de kamikazes, mais ils sont encore surreprésentés à Guantanamo (92 prisonniers sur 198) ! Et en 2006, la complicité des structures étatiques a permis à 23 des terroristes les plus dangereux de s’évader de la prison centrale de la sûreté, à Sanaa. Parmi eux figuraient les futurs dirigeants d’al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA). Saleh est en réalité un président opportuniste, dont le principal souci a toujours été de se maintenir au pouvoir et de s’enrichir, en s’appuyant sur un clan restreint à frontières internationales. Car Téhéran redoute que de futures sanctions de l’ONU le privent d’exporter son pétrole, en misant sur les surcapacités de production saoudienne pour éviter une dérégulation du marché. Or, en allumant des contre-feux en périphérie de l’Arabie, l’Iran menace cette perspective en révélant la fragilité d’un royaume incapable, demain, de remplir cette mission. Al-Qaida, lui, se réjouit également de la faillite du Yémen, de sa « somalisation », de la guerre d’usure dans le Nord et du réveil du séparatisme sudiste. Elle pense pouvoir créer un sanctuaire, après sa défaite en Arabie et faire du Yémen un nouvel « Afghanistan ». Bien qu’idéologiquement ces deux tendances radicales, sunnite et chiite, se haïssent au plus haut point, elles semblent avoir trouvé un agenda commun avec le Yémen. Elles veulent pousser les États- Unis et leurs alliés à intervenir sur un nouveau front. Pour Téhéran, il convient d’occuper l’armée américaine sur plusieurs terrains simultanés pour l’empêcher de s’aventurer en Perse, voire d’user de menaces crédibles à son égard. Pour Ben Laden et ses sbires, il s’agit de créer un nouveau front aux portes de La Mecque pour y attirer des djihadistes, déstabiliser le Golfe, renverser la monarchie des Saoud, alliée de l’Occident, et épuiser jusqu’à l’effondrement « l’hyperpuissance » américaine. Face à cet environnement complexe et dégradé, l’Occident doit d’abord refuser tout engagement terrestre sur un nouveau front, alors que ses armées sont en grande difficulté en Afghanistan, ont du mal à se retirer honorablement d’Irak et risquent d’être confrontées à la prise du pouvoir par les talibans d’un Pakistan nucléarisé. La solution passe par un soutien conditionné au président Saleh usé jusqu’à la corde, pour l’obliger à changer de politique, se réconcilier avec ses oppositions et partager son pouvoir. Enfin, il est indispensable que les monarchies du Golfe apportent les fonds nécessaires au développement du Yémen. Il y va de leur sécurité et de leur stabilité, ainsi que du succès de l’interminable lutte antiterroriste sur l’échiquier mondial.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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