15/03/2004 Texte

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« La loi sur le voile a profondément déplu aux islamistes »

La piste islamiste vous semble-t-elle crédible ? 

Antoine Basbous.
Oui, c'est la seule qui résiste à l'examen des faits et à l'évolution de l'enquête.

La France est-elle menacée ?

Antoine Basbous
. La France est menacée, mais pour d'autres raisons que l'Espagne. Les enjeux électoraux ne pèsent pas dans la mesure où l'UMP et le PS étaient hostiles à la guerre en Irak. En revanche, la participation à la guerre en Afghanistan, la traque du terrorisme islamiste et le vote d'une loi sur le voile ont profondément déplu aux islamistes. Et le numéro deux d'Al-Qaïda, al-Zawahiri, a directement menacé il y a trois semaines la France de représailles sanglantes dans une cassette audio. Que représentent les réseaux Al-Qaïda en Europe ? Les opérations centralisées d'Al-Qaïda, qui demandent une longue préparation et une importante logistique, ne peuvent être qu'extrêmement limitées, mais il y a dans les réseaux d'Al-Qaïda des métastases très dangereuses. Ben Laden a fait école et, dans sa mouvance, on s'inspire de la parole du maître, de ses méthodes. Et quand on agit, c'est sans avoir besoin de structures pyramidales hiérarchisées.

« Al-Qaïda voulait faire battre Aznar »

Y a-t-il des connexions possibles avec l'ETA ?

Antoine Basbous.
Non, jusqu'à preuve du contraire. Les islamistes ne travaillent qu'avec des musulmans de leur camp. Des gens avec lesquels ils partagent une idéologie. Ils ne peuvent pas faire confiance à ceux qui sont simplement anti-impérialistes. J'ai du mal à penser qu'Al-Qaïda puisse coopérer avec l'ETA exclusivement pour son antiaméricanisme. On peut, en revanche, s'interroger : pendant la guerre en Irak, des membres de l'ETA ne se sont-ils pas rendus là-bas ? N'y a-t-il pas eu sur place des connexions, voire le partage d'un savoir-faire ? Le gouvernement Aznar a-t-il menti en désignant l'ETA ? Le gouvernement Aznar a voulu neutraliser la volonté politique de Ben Laden de peser sur le scrutin espagnol. Il avait donc intérêt le plus longtemps possible à mettre ces attentats sur le dos de l'ETA car 90 % des Espagnols étaient hostiles à l'engagement de leur pays en Irak au côté des Américains.

Ces attentats du 11 mars sont-ils liés à la guerre en Irak, qui a commencé il y a un an, le 21 mars 2003 ?

Antoine Basbous. Sans l'ombre d'un doute. Al-Qaïda a voulu faire battre un gouvernement qui s'est allié aux Américains. L'empressement mis à revendiquer dès jeudi les attentats de Madrid et à le confirmer dès le lendemain à travers une déclaration d'Omar Bakri (qui est l'un des porte-parole de Ben Laden en Grande-Bretagne) a un sens : tenter de faire battre Aznar. Pour que son mandat se termine sur un échec, que son parti échoue et que ceux qui vont lui succéder au pouvoir à Madrid se disent : il faut retirer nos forces d'Irak. Ce qui créerait un dangereux précédent pour d'autres pays de la coalition qui, du coup, seraient tentés de faire de même. Certains disent que l'Italie est la prochaine cible... L'Italie, dont une vingtaine de soldats et de carabiniers ont déjà été tués à Nassiriyah, est effectivement menacée au même titre que les Polonais, les Britanniques, les Hollandais, les Japonais, les Coréens, les Australiens et, bien entendu, les Américains. Mais l'occasion fait le larron et, là où ils peuvent frapper, les islamistes ne s'en priveront pas.

* Auteur de « l'Arabie saoudite en questions. Du wahhabisme à Ben Laden » (Ed. Perrin).

Propos recueillis par Bruno Fanucchi

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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