28/03/2006 Texte

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Une démocratisation sans transition livre le pouvoir du palais à la mosquée

La victoire du Hamas aux législatives palestiniennes a suscité des réactions contradictoires au Moyen-Orient. Tous les pays de la région se sentent concernés. N'ont-ils pas placé la cause palestinienne au cœur de leur politique faciale depuis leur accession à l'indépendance? Cette victoire a fait des heureux et des malheureux parmi ces pays.

Les tenants du «croissant chiite» qui s'étend de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas et, depuis la chute du régime de Saddam Hussein, par Bagdad, figurent parmi les satisfaits. Le siège du Hamas à l'étranger est installé à Damas. Son financement est largement assuré par Téhéran.

L'Iran cherche à disposer d'une carte supplémentaire dans son jeu régional, à mettre en difficulté les pays arabes jugés tièdes dans leurs engagements et à les dénoncer comme des Etats soumis aux desiderata américains. Cette carte palestinienne, qui prolonge l'axe chiite, pourrait servir dans toute négociation globale sur la région et notamment dans le dossier du nucléaire iranien.

Victime de déchirements internes, l'Irak n'a pas d'influence régionale dans le conflit israélo-palestinien, mais la Syrie, qui héberge le chef radical du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, s'oppose à tout accord israélo-palestinien. Cette perspective l'isole et le fragilise. Le régime alaouite ultra-minoritaire ne peut survivre qu'en entretenant l'instabilité dans son environnement.

Le Liban se retrouve dans une zone grise entre deux régimes: l'ancien hérité de l'occupation syrienne et dont les représentants sont le président de la République, Emile Lahoud, et le Hezbollah dont la milice constitue un Etat dans l'Etat et une armée parallèle. Son maintien est justifié par l'occupation israélienne des fermes de Chebaa (22 km²), que la Syrie avait annexées dans les années 50 et qu'Israël a occupées sur la Syrie en 1967. Ce territoire doublement volé au Liban, par la Syrie puis par Israël, est aujourd'hui concerné par la résolution 242 du Conseil de sécurité. L'autre «régime» au Liban est représenté par un gouvernement impuissant, miné par ses divisions et par la présence de formations chiites acquises à l'alliance irano-syrienne et qui bénéficient de la complicité des hommes installés par le régime syrien, tels les présidents de la République et du parlement. Paradoxalement, la victoire du Hamas arrange Israël. Elle a contribué à affaiblir l'Autorité palestinienne et a suscité l'arrêt du soutien financier occidental au gouvernement du Hamas et le conditionnement de cette aide à la reconnaissance d'Israël et des accords signés par ce dernier.

Pour le Hamas, le choix est difficile: reconnaître Israël sans contrepartie constitue une révision déchirante de son idéologie et de son parcours politique; recourir à la violence dans un rapport des forces défavorable est un échec assuré, alors que les Palestiniens sont épuisés par la guerre.

En tête des pays perdants de la victoire du Hamas figure l'Egypte, le parrain traditionnel de l'Autorité palestinienne et du processus de paix. Car cette victoire constitue un dangereux précédent qui pourrait profiter aux Frères musulmans égyptiens, dont le Hamas est une filiale. L'arrivée du Hamas au pouvoir constitue la perte d'une carte majeure qui va échapper à son influence et «dévaluer» son rôle régional, notamment auprès des Américains.

Parmi les mécontents figurent également les monarchies du Golfe, l'Arabie saoudite en tête. Ce succès banalise le recours aux suffrages universels dans une région où seul le Koweït détient une tradition démocratique. Cela banaliserait aussi l'arrivée des islamistes au pouvoir dans les monarchies pétrolières et met à rude épreuve leurs relations avec les Etats-Unis. Ainsi, elles sont piégées par cette victoire: abandonner le Hamas pousserait ce dernier dans les bras de Téhéran qui a déjà promis un budget de 250 millions de dollars. C'est aussi un défi à l'opinion publique de ces pays qui voit dans le succès du Hamas une victoire contre la corruption et l'ouverture de nouveaux horizons politiques.

Parmi les mécontents figure également Al-Qaida de Ben Laden. Car ce mouvement terroriste condamne le principe même des élections et n'accepte que la loi de Dieu. Ayman al-Zawahiri, le numéro 2 d'Al-Qaida, l'a répété à maintes reprises, en rappelant que son rejet de voir les islamistes rentrer dans les compétitions électorales repose sur le précédent des élections avortées en Algérie - remportées par le FIS en 1991 - et la suppression des résultats. Al-Qaida table sur une scission au sein du Hamas.

Les Etats-Unis comptent eux-mêmes parmi les grands déçus et examinent la révision de leur doctrine de «démocratisation du Moyen-Orient» qui a conduit à la victoire des islamistes en Irak, du Hamas en Palestine et qui, sans les méthodes brutales employées par le régime égyptien lors des dernières élections législatives, aurait donné aux Frères musulmans la majorité écrasante du parlement et non seulement 88 députés.

Une démocratisation sans transition déplace le pouvoir totalitaire du palais à la mosquée. Car entre ces deux espaces, les régimes autoritaires ont refusé l'existence d'une société civile mais n'ont pu supprimer les mosquées. De ce fait, toute alternance profite à la seule structure rescapée de l'aire totalitaire. Promouvoir la démocratie sans créer les conditions d'un vrai multipartisme, d'un Etat de droit et d'une presse libre revient à donner une prime à ceux qui brandissent comme slogan «l'islam, c'est la solution». Cette transition démocratique devrait durer, selon les pays, de cinq à dix ans, afin de donner aux peuples le choix entre au moins trois forces politiques: celles du régime, de la mosquée et de la société civile.

L'examen du rapport des forces dans la région laisse apparaître que le succès du Hamas est trompeur. Car l'ancien ordre arabe est mort même si aucun faire-part n'a encore été publié. Les soutiens traditionnels des Palestiniens sont neutralisés, notamment par la guerre civile qui s'empare de l'Irak entre sunnites et chiites et qui est appelée à s'accentuer et à irradier la région. Le conflit sur le nucléaire iranien va éloigner la cause palestinienne des priorités du régime mollarchique et de ses voisins arabes et la rendre périphérique.

La vulnérabilité du «croissant chiite» qui soutient le Hamas est bien réelle. Aucun de ses quatre régimes ne se trouve à l'abri de soubresauts inquiétants tant à l'intérieur de ses frontières que dans ses relations régionales ou internationales. Les kamikazes palestiniens qui ont frappé des civils israéliens après le 11 septembre 2001 ont contribué à modifier le regard des Occidentaux sur leur cause. S'ils la comprennent toujours, ils contestent les moyens utilisés. La «feuille de route» qui devrait déboucher sur la création d'un Etat palestinien est en train de rejoindre le cimetière bien garni des résolutions restées lettre morte. L'instabilité régionale est appelée à durer. Ses convulsions n'annoncent rien de bon. Elles nuisent à la cause palestinienne.

Cette série de difficultés est doublée par un certain isolement du Hamas au sein des organisations palestiniennes qui ont refusé - à l'instar de personnalités indépendantes dont les compétences sont reconnues par les institutions internationales - de participer au gouvernement du pragmatique Ismaïl Hanié. Sans oublier les insurmontables difficultés socio-économiques et la gestion quotidienne d'un territoire infesté d'agents israéliens qui permettent à l'Etat hébreu d'éliminer ou de capturer les dirigeants recherchés. Le seul moyen de mettre un terme au conflit israélo-palestinien, c'est que la communauté internationale conçoive une solution et la fasse appliquer sans ménager les récalcitrants.

© Le Temps, 2006 . Droits de reproduction et de diffusion réservés.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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