06/08/2006 Texte

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« Désarmer le Hezbollah pour une paix durable »

« Sud Ouest Dimanche ». Les frappes du Hezbollah sur le nord d'Israël ne datent pas d'hier. Alors, qu'est-ce qui a poussé Tsahal à répliquer avec une telle virulence ?

Antoine Basbous
: L'armée israélienne a été évincée du Liban en mai 2000 et le Hezbollah en a tiré un grand profit pour son image et pour son autorité. Il est devenu un modèle à suivre pour tous les mouvements islamistes. Israël se devait de rétablir son image et prouver son « invincibilité ». Et puis, il y a eu la répétition des attaques qui se succédaient toutes les sept ou huit semaines pour aboutir à celle, beaucoup plus sévère, qui a tué huit soldats israéliens et fait vingt blessés, dont deux ont été constitués prisonniers. A partir de là, les choses ont pris une autre dimension.

Le Hezbollah est donc responsable de la situation ?

Le Hezbollah a choisi de mener son coup d'Etat contre le gouvernement libanais, d'abord. Il tente de devenir l'interlocuteur unique de la communauté internationale, en tout cas le plus incontournable. Pour y parvenir, il a franchi la ligne rouge en violant la frontière internationale établie par le Conseil de sécurité après le retrait israélien de l'an 2000. Celui-ci avait d'ailleurs effacé tout contentieux territorial entre les deux pays. En fait, cette affaire est intervenue pour faire diversion, et sur le dossier du nucléaire iranien et sur l'enquête sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri (1). Le Hezbollah est une légion chiite iranienne, stationnant au Liban, qui sert des causes qui ne sont pas libanaises. De plus, il refuse de désarmer malgré les accords internationaux et la résolution 15-59.

Historiquement, tout de même, la résistance du Hezbollah n'est pas sans rappeler celle des fedayin en 68. Autre point comparable : l'entrée de Tsahal en territoire libanais, en 1982, pour chasser les troupes de l'OLP...

Il n'y a pas de comparaison possible. Les fedayin palestiniens s'étaient servi d'un pays tiers qui était le Liban, alors que le Hezbollah est essentiellement libanais. Pour ce qui est du deuxième point, les Palestiniens ont un contentieux territorial existentiel avec Israël, ce qui n'est pas le cas du Hezbollah. Les seuls dénominateurs communs entre 68, 82 et aujourd'hui sont l'incapacité du Liban à maîtriser son espace territorial et les ingérences flagrantes de la Syrie pour entretenir à Beyrouth un gouvernement faible, afin de faire passer ses objectifs.

Le soutien avéré au Hezbollah par la Syrie et l'Iran n'est pas le même, qu'il vienne d'un pays ou de l'autre. Quelles sont les différences ?

Ils ont en commun le fait d'instrumentaliser le Hezbollah. La Syrie veut se venger de son éviction du Liban, l'année dernière. Elle veut torpiller le tribunal international et l'enquête sur Hariri. Damas veut également montrer que le chaos sans son occupation est bien pire. Pour l'Iran, l'enjeu est plus important. Il veut faire diversion sur son dossier nucléaire et occuper le Conseil de sécurité par cette crise-là. L'Iran a un projet global de création d'un croissant chiite qui s'étend de Téhéran à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas, avec une extension à Gaza depuis l'élection du Hamas. Ce croissant existe déjà et l'Iran instrumentalise ses légions pour exercer son rayonnement, son hégémonie, et montrer ses capacités de nuisance.

Pourtant, avec cette crise libanaise, on voit que les soutiens au Hezbollah se multiplient dans le monde islamique.

Ce n'est pas le cas partout. L'Arabie, la Jordanie et l'Egypte ont parlé d'« aventurisme » pour qualifier l'action du Hezbollah. La Ligue arabe s'est refusée à réunir un sommet de soutien à la milice chiite.

Comment est perçu le Liban par le monde arabe ?

C'est un beau pays où il fait bon aller passer des vacances parce qu'on y trouve confort, bien-être, plaisir et luxe. Il est la porte de l'Occident et il fait bon y investir. Sur le plan géopolitique, c'est une proie facile, et c'est sur son territoire que bon nombre de régimes de la région ont réglé leurs comptes. Ce pays est appelé à devenir le champ de bataille des conflits qui opposent l'axe syrio-iranien au reste du monde.

Le Liban peut-il perdre avec ce conflit l'identité qu'il était en train de se forger depuis la fin de la guerre civile ?

Non. Il n'a pas perdu son identité mais a été pris en otage par une organisation qui est, de fait, une armée implantée ici par des puissances étrangères. Les Libanais se sont entendus sur le désarmement du Hezbollah mais ont été incapables de l'appliquer.

Justement, quel est aujourd'hui la position du gouvernement libanais de Fouad Siniora face à cette crise ?


Il a désavoué le Hezbollah dès le premier jour et il a appelé à rétablir l'armistice signé en 49. Le gouvernement libanais ne veut pas de ce conflit avec Israël.

Est-ce que vous avez le sentiment, alors que le conflit s'enlise, que les Israéliens se sont fait piéger par le Hezbollah ?

Piégés, non, mais il y a eu un gros déficit de renseignement chez les Israéliens, qui n'ont pas mesuré à sa juste valeur la force du Hezbollah. Ils n'ont pas su où étaient ses rampes de missiles, ses caches, ses munitions. Nous avons découvert à l'occasion de ce conflit que les renseignements israéliens sont beaucoup plus médiocres qu'on ne pouvait l'imaginer.

Peut-on aujourd'hui envisager une solution durable au Liban ?

Oui. Pour que la paix s'établisse demain aux frontières, il faudrait désarmer le Hezbollah, que seule l'armée libanaise soit souveraine sur son espace. Mais aussi que les forces internationales se déploient non seulement à la frontière avec Israël, mais surtout et d'abord à la frontière avec la Syrie puisque les armes, les munitions, les instructions, les agents recruteurs transitent tous par cette zone en provenance soit de Syrie, soit d'Iran. Il faudrait aussi renforcer l'état de droit du gouvernement central, issu des urnes, légitimement élu. On ne peut pas avoir un gouvernement parallèle qui est aux ordres de Téhéran. Parce que « qui donne ordonne », or ceux qui donnent aujourd'hui ordonnent une politique qui n'est pas celle du Liban.

Mais on peut vous rétorquer que le Hezbollah est quand même présent dans le gouvernement libanais ?

Justement, le grand scandale, c'est qu'il puisse siéger au gouvernement et qu'il entretienne une armée parallèle qui obéit aux ordres de Damas et de Téhéran et qui déclare la guerre sans avertir son propre gouvernement.

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