24/03/2023 Texte

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L’ultime remède pour un Liban en perdition

Antoine Basbous, fondateur et directeur de l’Observatoire des pays arabes, défend la mise en place d’une « assistance internationale » pour sauver le Liban.

« Tout est ruine, et plus rien ne tient debout. Institutions, économie, justice, santé, éducation… les piliers de l’État, gangrenés par une puissante mafia, sont dévastés. Avec la vacance cumulée des pouvoirs, les dirigeants de la haute administration qui partent à la retraite ne sont plus remplacés. Désormais, 85 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté et 1,7 million de réfugiés syriens sont dans une détresse totale. La communauté internationale – pays arabes, France et États-Unis en tête –, est à court de solutions « classiques » pour rebâtir le Liban. Y aurait-il alors la place pour une approche iconoclaste ?

Toutes les structures sur lesquelles il serait possible de s’appuyer pour relancer l’espoir s’étant effondrées, cette solution pourrait être la mise en place d’une « assistance internationale » dans la gestion du pays. Sans relève crédible en interne et exposées à l’affrontement par procuration d’acteurs régionaux, les institutions politiques doivent en effet être épaulées et « sanctuarisées » de l’extérieur. Un gouvernement de reconstruction dirigé par un homme politique expérimenté originaire d’une démocratie établie n’ayant pas de liens particuliers avec le Liban serait chargé de réformer le pays avec le soutien des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale), et de rebâtir les institutions démocratiques, administratives et économiques. Il associerait des haut-fonctionnaires libanais et des référents internationaux au moyen d’une double signature, sur le modèle du « Programme d’assistance pour la gouvernance et la gestion économique » (GEMAP) appliqué au Libéria en 2005. Il irait de pair avec des moyens accrus mis à disposition par les bailleurs de fonds arabes et internationaux. Son mandat serait clairement délimité dans le temps.

Ce scénario se heurte à la question de la souveraineté. Au Libéria, comme au Timor oriental, deuxième cas de figure du passé proche (1999-2001), ce sont les autorités qui avaient demandé l’assistance internationale. Mais le Hezbollah, bras armé de l’Iran en Méditerranée, s’opposera à une telle requête. Il verrouille le sommet de l’État, veut imposer son candidat à l’élection présidentielle, contrôle via son allié Nabih Berri la présidence du Parlement et bénéficie de la collaboration du chef du gouvernement, par ailleurs neutralisé par l’expédition des affaires courantes.

La seule voie qui reste possible serait de passer par une demande externe. Une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies au titre du chapitre VII de la Charte (au motif que la situation libanaise menace la sécurité régionale) serait torpillée par un veto russe – Moscou étant allié à l’Iran, parrain du Hezbollah et de la Syrie, dans la lutte contre « l’impérialisme occidental » – voire chinois, Pékin étant très à cheval sur la non-ingérence.

En revanche, un appel d’un organisme humanitaire de l’ONU (HCR, UNICEF, le Conseil des droits de l’homme …), par exemple au nom de la protection des réfugiés syriens ou de l’urgence humanitaire, pourrait être entendu, ou au moins amorcer la réflexion. On peut aussi imaginer que la Ligue arabe, instruite par l’Égypte qui a une prise traditionnelle sur elle, alerte l’ONU sur les conditions de vie très dégradées non seulement des réfugiés syriens, mais aussi des Libanais. Un tel appel humanitaire serait plus difficile à contrer par ses détracteurs. Dans ce scénario, tout blocage au Conseil de sécurité pourrait éventuellement être contourné par un vote en Assemblée générale.

L’établissement d’une « mission d’assistance internationale », même à des fins humanitaires, ne pourra être réalisable que si le contexte régional est favorable. Etant intégré au « croissant chiite » via le Hezbollah, la destinée du Liban dépend actuellement de l’Iran. Le Parti de Dieu, qui pourrit depuis des années les institutions afin de les affaiblir et d’en prendre le contrôle, ne lâchera pas aisément sa proie au moment où celle-ci est le plus vulnérable. Il faudra donc que le système proposé ait un intérêt pour la milice chiite, ou qu’ordre soit donné depuis Téhéran de lâcher prise. Les difficultés dans lesquelles se trouve le régime mollarchique, contesté de l’intérieur et mis sous pression par Washington dans son poumon économique irakien, lui inspireront-elles des concessions ? Il ne fait pas de doute que si les manifestants iraniens étaient parvenus à renverser la mollarchie, l’avenir du Liban se serait éclairci. Mais la contestation – qui représente une lame de fond – a été étouffée avant d’aboutir. Ce qui a laissé le temps à Téhéran d’accélérer sa course à l’arme nucléaire et d’engager à Pékin une désescalade avec l’Arabie visant à réduire la couverture médiatique de ses opposants, en échange d’une détente au Yémen.

Dans un voisinage plus immédiat, le facteur syrien est aussi à considérer. Les reprises de contacts arabes avec Damas, consécutives au séisme de février, ont ramené le Président Assad sur le devant de la scène. Les pays arabes ont levé les obstacles pour le réintégrer au sein de leur Ligue, lors du sommet annuel de mai prochain. La fin du ramadan coïncidera avec de multiples annonces de rétablissement des relations bilatérales, malgré le sang qui entache les mains d’Assad. Les Américains comme les Français refusent toute réhabilitation du régime syrien, mais leur rôle est dévalué dans la région. Dans le nouveau contexte moyen-oriental, le Liban pourrait être un point de discussion entre Téhéran et Riyad. Damas a intérêt, pour renflouer son économie, à ce que son voisin, dont il capte de considérables richesses, se redresse.

L’autre voisin, Israël, aura son mot à dire. S’il ne peut empêcher l’Iran de se rapprocher de la Bombe malgré ses coups de canif, l’État hébreu a cohabité jusqu’ici avec le bras armé de Téhéran, et est parvenu à délimiter et partager des gisements en Méditerranée avec son feu vert. Toutefois, la préoccupation première d’Israël aujourd’hui est d’ordre domestique, relative à l’évolution de ses propres institutions.

Côté arabe, l’assistance internationale et son volet économique pourraient être le meilleur moyen de retrouver une influence qui s’est évaporée face à celle de l’Iran, qui a militarisé le Liban. L’Arabie, parrain historique du camp sunnite, sera sans surprise sollicitée pour contribuer au financement du mécanisme et au fonds de reconstruction. Si l’Iran lâche du lest après l’accord de Pékin, Riyad pourrait bien se prêter au jeu, à condition que le Liban quitte l’orbite exclusive de Téhéran.

Enfin, l’Union européenne devrait s’impliquer au nom de la prévention du risque migratoire. Alors que l’émigration clandestine est déjà une réalité dans le Nord Liban, l’argument d’éviter l’afflux de millions de Libanais et de réfugiés syriens portera sans difficulté. Faute de solution classique pour sauver le grand malade libanais en perdition, il ne reste que cet ultime remède. »

JDD

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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