31/01/2023 Texte

pays

<< RETOUR

Enlisée dans une crise économique, la Tunisie au bord du défaut de paiement

Le second tour des législatives en Tunisie a été marqué, dimanche, par une abstention historique de près de 90 %. Dans le même temps, le pays s’enfonce dans la crise économique et peine à obtenir le soutien financier de ses partenaires.

Sans surprise, le deuxième tour des législatives n’a pas suscité le réveil des foules en Tunisie. Seulement 11,4 % des votants se sont exprimés, selon les chiffres officiels publiés lundi 30 janvier, lors de ce scrutin boycotté par les partis d'opposition.

Accusé par ses détracteurs de vouloir concentrer tous les pouvoirs, le président Kaïs Saïed est également très critiqué pour sa gestion de la crise économique qui frappe le pays.

La Tunisie, qui a vu sa dette exploser ces dernières années, a conclu, mi-octobre, un accord de principe avec le FMI (Fonds monétaire international) pour un prêt de 1,7 milliard d’euros. Mais l’institution, qui a exigé des réformes structurelles en échange, n’a pour l’heure pas débloqué cette aide. Une situation qui laisse présager une année 2023 "compliquée", s’est inquiétée, début janvier, la Banque centrale de Tunisie (BCT).

Inflation et pénuries

Pour la population tunisienne, l’aggravation de la crise économique que traverse le pays se traduit en premier lieu à la caisse. Malgré les subventions du gouvernement, l’inflation a dépassé les 10 % en 2022. Cette hausse des prix, particulièrement forte dans le pays en ce qui concerne la viande, les œufs et les huiles, est liée à la guerre en Ukraine. Le conflit a fait exploser le prix des matières premières et notamment des céréales, utilisées pour nourrir le bétail. En parallèle, les pénuries se sont multipliées dans les rayons pour de nombreuses denrées alimentaires de base comme le sucre blanc, le café ou le riz.

La guerre en Ukraine "a aggravé un contexte déjà difficile", soulignait en octobre dernier Samir Saïd, ministre de l’Économie, sur France 24, expliquant que la Tunisie a connu ces dernières années une succession de chocs économiques dont elle peine à se relever.

En 2015, les attaques terroristes islamistes du musée Bardo à Tunis, puis d’une station balnéaire près de Sousse, avaient infligé un net coup d’arrêt à l’industrie touristique, qui comptait jusqu’alors parmi les plus importants secteurs économiques du pays. Déjà fortement endettée, la Tunisie a ensuite dû faire face à la pandémie de Covid-19 qui a généré un pic d’inflation et encore creusé les caisses de l’État. Entre 2019 et 2021, la dette publique du pays a ainsi crû de 7,5 milliards d’euros, dépassant 32 milliards, soit 85,5 % du PIB.

Le consommateur ou la dette

Pour Ali Kooli, banquier tunisien et ancien ministre des Finances, ces crises successives n’ont fait qu’accélérer la chute d’un système à bout de souffle. "Contrairement à nombre de ses voisins qui ont depuis longtemps libéralisé leurs économies, la Tunisie a conservé une législation très contraignante sur les investissements qui nuit à sa croissance. En parallèle, elle contrôle les prix en subventionnant de nombreux produits importés, tels que les hydrocarbures, le café ou le sucre, mais aussi des filières nationales comme celle du lait. Or ce système est arrivé au point de rupture : l’État n’a tout simplement plus les moyens de financer ces subventions", analyse-t-il.

Contraint de choisir entre la protection du consommateur et le contrôle de ses dépenses, le gouvernement a annoncé en décembre une baisse des subventions des produits de base, au risque d’alimenter encore un peu plus la forte inflation dans le pays.

La faillite au bout du tunnel ?

Cette diminution des subventions, qui devrait atteindre 33,1 % au cours de l’année, fait partie d’un ensemble de mesures, intégrées à la loi de finances 2023, visant à réduire le déficit. Le gouvernement tunisien espère que ces réformes lui permettront d’obtenir le feu vert du FMI pour le prêt de 1,7 milliard d’euros négocié en octobre.

"La Tunisie a accumulé une dette telle qu’il lui est désormais très difficile d’emprunter auprès des bailleurs internationaux", explique Antoine Basbous, politologue spécialiste du monde arabe. "Le prêt du FMI est extrêmement important, non pas parce qu’il permettrait de redresser la situation du pays, mais parce qu’il conditionne l’accès à l’aide internationale".

Alors que Tunis est parvenu à obtenir un accord de principe pour le déblocage des fonds, le FMI a cependant reporté l’examen final du dossier, prévu en décembre, affirmant vouloir donner plus de temps au gouvernement pour finaliser son programme de réformes. Samedi, l'agence américaine Moody's a dégradé d'un nouveau cran la note de la dette à long terme tunisienne, jugeant "plus élevé" le risque d'un défaut de paiement.

"Il paraît évident que la trajectoire politique de la Tunisie accroît la méfiance des bailleurs internationaux", analyse Antoine Basbous. "Plutôt que de mettre en place des mesures économiques d’urgence, Kaïs Saïed s’est lancé dans une refonte des institutions pour instaurer un système ultra-présidentialiste. Le résultat est une abstention massive aux élections et un pays au bord de l’insolvabilité. C’est un pari risqué. Dans ce contexte, rien ne garantit que le FMI viendra sauver la Tunisie de la faillite".

France 24

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
twitter   |