25/11/2022 Texte

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Iran : où en est la contestation, 10 semaines après la mort de Mahsa Amini ?

Le pays connaît toujours d'importantes manifestations dans tout le pays. La répression est violente dans la région du Kurdistan.

Deux mois après le soulèvement d'une partie de la population iranienne à la suite de la mort de Mahsa Amini, la révolte continue de gronder en Iran. Réprimées dans le sang, les manifestations se poursuivent à Téhéran, mais aussi au Kurdistan iranien, région d'origine de la jeune femme de 22 ans décédée après son arrestation par la police des mœurs pour avoir enfreint le code vestimentaire strict imposant de porter le voile en public.

Où en sont les révoltes dans le pays ?

Les troubles couvrent encore l'ensemble du pays, des périphéries aux grandes villes. Dans le Sud-Ouest, à Karaj, jusqu'au nord-ouest à Orumieh en passant par la capitale Téhéran, des manifestations ont encore eu lieu ce jeudi soir. L'État continue aussi régulièrement de couper internet pour réduire les solidarités entre manifestants et étouffer la contestation. Après bientôt 10 semaines de manifestations, les révoltes que connaît le pays «ne sont donc pas un feu de paille, mais une lame de fond», affirme au Figaro Antoine Basbous, fondateur et directeur de l'Observatoire des pays arabes. Et les autorités ont lancé plusieurs ultimatums, notamment le chef de l'armée régulière, sans pour autant décourager les manifestants.

La répression du mouvement se poursuit-elle ?

Le régime iranien poursuit par ailleurs la répression du mouvement. Au cours de la dernière semaine de manifestation, les forces de sécurités iraniennes ont tué 72 personnes, dont 56 au Kurdistan iranien, a affirmé mardi 22 novembre dernier l'ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo. Parmi ces morts, figurent 51 enfants et 21 femmes, selon IHR. Le bilan total s'élève donc à 416 morts depuis le début du mouvement de contestation.

En parallèle, plusieurs milliers de personnes ont été arrêtées. Manifestants mais aussi «journalistes, actrices, réalisateurs, universitaires, sportifs». Le dernier en date étant le célèbre footballeur Voria Ghafouri, accusé d'avoir «insulté et sali la réputation de l'équipe nationale (Team Melli) et de s'être livré à de la propagande» contre l'État, a rapporté l'agence de presse iranienne Fars. Âgé de 35 ans, le footballeur originaire de Sanandadj, la capitale de la province du Kurdistan iranien, a posté une photo sur son compte Instagram portant l'habit traditionnel kurde. La violente répression aurait aussi été marquée par des viols commis sur les manifestants après leur arrestation, comme l'ont montré dans une enquête les journalistes de la chaîne de télévision américaine CNN.

Le Kurdistan paie-t-il le prix fort ?

Ces derniers jours, les manifestations se sont déroulées dans plusieurs villes du Kurdistan - Mahabad, Javanroud ou Piranchahr -, souvent liées aux cérémonies de funérailles de personnes tuées par les forces de l'ordre. Le groupe de défense des droits des Kurdes d'Iran Hengaw, lui aussi basé en Norvège, a accusé les autorités d'avoir tiré à balles réelles sur les manifestants.

«La répression est particulièrement sévère dans cette région, car les forces iraniennes utilisent des armes de guerre contre les manifestants», rapporte Antoine Basbous. Les autorités auraient aussi fait venir des miliciens chiites des pays voisins «qui répriment sans état d'âme», explique le chercheur. «La République islamique jette toutes ses forces et enprofite pour bombarder le Kurdistan irakien avec des missiles et des drones au prétexte que celui-ci nourrirait la contestation», explique aussi le chercheur.

Il ne faut pas oublier cependant les nombreux morts qu'il y a eu ailleurs dans le pays comme au Baloutchistan, au sud-est. Le 30 septembre, les forces de l'ordre avaient tiré sur des manifestants rassemblés à Zahedan. Au moins 92 personnes avaient été tuées, selon IHR, lors de cette journée baptisée «Vendredi sanglant» par les défenseurs des droits humains.

La révolte pourrait-elle aboutir à un renversement du régime ?

Les observateurs sont unanimes. Ce mouvement de contestation est historique. «En 2009, les manifestations d'ordre politique avaient été enrayées en moins de deux semaines, et en novembre 2019, la contestation d'ordre économique avait été stoppée en quelques jours», note Antoine Basbous. Plusieurs éléments manquent encore néanmoins pour la contestation tourne en révolution. Il faudrait tout d'abord des grèves d'ampleur dans l'industrie du pétrole, comme en 1979, où la révolution avait mené à la chute du Chah. À cette paralysie du pays, moyens de pression contre le gouvernement, «il faudrait des scissions au sein du régime».

Ce n'est en tout cas pas la commission d'enquête mise en place par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU qui fera plier le régime des mollahs. Malgré l'opposition de Téhéran et de Pékin, une enquête internationale a été ouverte sur la répression des manifestations pour rassembler des preuves des violations et éventuellement poursuivre les responsables. Réunis d'urgence à l'initiative de l'Allemagne et de l'Islande, les 47 États membres de l'instance onusienne la plus élevée en matière de droits humains ont décidé de nommer une équipe d'enquêteurs.

«Pour enquêter, il faut qu'il y ait une coopération avec le régime qui accepte de faire entrer les enquêteurs dans les centres de rétention par exemple, or Téhéran considère cette opération comme une charge occidentale, et plus généralement accuse l'impérialisme et le sionisme d'avoir fomenté les troubles», explique Antoine Basbous. Cette décision est en tout cas une marque de soutien bienvenue pour les manifestants en Iran.

Le Figaro

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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