05/03/2021 Texte

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Première visite d'un pape en Irak

Pour la première fois, un chef de l'église catholique va se rendre en Irak, ce vendredi. La visite du pape François est à haut risque, vu la situation sécuritaire et les enjeux confessionnels.

Un pape va se rendre en Irak pour la première fois. En deux mille ans d'Histoire, jamais un chef de l'Eglise catholique n'avait foulé le sol irakien, avant la visite du pape François prévue de vendredi à lundi.


C'est un voyage dans un pays à la fois berceau de la civilisation et des trois grandes religions monothéistes : le prophète Abraham de l'Ancien Testament « qui réunit en une seule famille musulmans, juifs et chrétiens », rappelle le pape, serait né dans la ville d'Ur où auraient en outre été inventés l'écriture, l'agriculture, l'Etat et la ville il y a six mille ans. Mais ce périple s'avère aussi à haut risque. Pour la sécurité physique du pape d'abord. Des tirs de roquettes visent régulièrement des bases américaines, avec encore un mort mercredi, et les djihadistes ciblent le Vatican dans leur propagande. Lors de cette visite de 1.450 km, l'avion ou l'hélicoptère du pape va d'ailleurs forcément survoler des zones où opèrent encore des combattants de Daech. Bagdad, où ont été déployés de nombreux posters de bienvenue ces derniers jours, sait donc que sa réputation est en jeu et le gouvernement a chargé la Golden division, son unité d'élite, de la sécurité du souverain pontife.

Communauté chrétienne

Les risques sont aussi diplomatiques dans un Proche-Orient zébré de fortes tensions confessionnelles et où les seules visites d'un chef de l'Eglise catholique étaient jusqu'ici celles de Paul VI en Israël et Jordanie en 1964, et Jean-Paul II en Egypte, Israël, Jordanie, Territoires palestiniens et Syrie en 2000-2001.

Le pape François veut à la fois porter un message de soutien à la très ancienne communauté chrétienne locale qui, sous l'effet des persécutions des djihadistes, ne représente plus que 1 % environ des 40 millions d'Irakiens, et de dialogue avec le monde musulman. Un thème central de son pontificat, illustré déjà par la signature d'un document encourageant au dialogue entre chrétiens et musulmans en 2019 aux Emirats arabes unis, avec l'égyptien Ahmed al-Tayeb, imam d'Al-Azhar, la plus haute institution de l'islam sunnite.

Dialogue avec le monde chiite

C'est d'ailleurs aussi la première fois qu'un pape rencontrera la plus haute autorité du monde arabe chiite, l'ayatollah Ali al-Sistani, à Najaf, samedi. Ce dernier est un rival du guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei. Il est favorable au dialogue interconfessionnel et opposé au concept iranien de « wilayat el-faghih » (primauté des autorités religieuses), souligne Antoine Basbous, de l'Observatoire des pays arabes. Qui ajoute que cet entretien contribuera aux yeux des Occidentaux à « rehausser le statut politique des chiites, majoritaires en Irak mais minoritaires en terre d'islam, longtemps ignorés ou associés à la seule « mollarchie » iranienne ». S'ils ne représentent qu'un dixième des 1,8 milliard de personnes d'origine, de culture ou de foi musulmanes, les chiites sont majoritaires en Irak, comme en Iran et à Bahreïn.

François, dont le pontificat entamé en 2013 a été marqué par des coups d'éclat et des positions très favorables à l'immigration et l'écologie, ou critiques du capitalisme, s'entretiendra aussi avec Moustapha al-Kadhimi, le Premier ministre, puis le président Barham Saleh. L'Irak est déstabilisé par une crise financière et sociale interminable, qui avait provoqué un soulèvement populaire à l'automne 2019 contre la corruption, la pauvreté et des services publics très défaillants, que le pape avait soutenu. Ecartelé entre l'Iran voisin et son allié américain, le pays attend aussi de voir comment l'arrivée de Joe Biden, un catholique, à la Maison-Blanche pourrait modifier l'implication de Washington dans la région et le Vatican pourrait jouer les médiateurs.

Une prière avec sunnites, chiites yazidis et sabéens

Quelques centaines de personnes seulement seront autorisées à assister aux divers temps forts de la visite, puisque face à la flambée des infections au Covid-19, l'Irak est de nouveau en confinement à partir de jeudi. Le pape argentin de 84 ans, vacciné contre le Covid mais souffrant d'une sciatique, est attendu vendredi à Bagdad, où il visitera une cathédrale endeuillée par une prise d'otages en 2010, puis dans la ville chrétienne de Qaraqoch, ainsi qu'à Ur. Là, il priera avec des dignitaires sunnites, chiites, yazidis et sabéens. Il célébrera une messe dimanche à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, avant de s'adresser au monde entier depuis Mossoul, symbole des atrocités de Daech de 2014 à 2017.
Par Yves Bourdillon. (Les Echos)
 

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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