05/08/2020 Texte

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«Le Liban vit une catastrophe d’une extrême gravité»

L’explosion d’une exceptionnelle violence qui a frappé Beyrouth aggrave encore la crise multiforme dans laquelle le Liban est plongé, s’alarme le directeur de l’Observatoire des pays arabes, Antoine Basbous. Le pays du Cèdre a besoin d’un Etat normal qui joue son rôle, souligne-t-il.

FIGAROVOX.- Selon le Premier ministre Hassane Diab et les services de sécurité libanais, environ 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium étaient stockées dans l’entrepôt du port de Beyrouth qui a explosé, non loin d’un entrepôt de feux d’artifices. L’explosion serait due à une négligence administrative. Celle-ci révèle-t-elle les carences des autorités libanaises?

Antoine BASBOUS.- Les versions ont beaucoup varié entre celles du Premier ministre et des services de sécurité libanais. Que s’est-il passé? Si cela semble être un accident, il faut noter que toutes les frontières du Liban, maritimes, aériennes ou terrestres, clandestines ou officielles, sont entre les mains du Hezbollah. Il a littéralement kidnappé l’État libanais et contrôle tout. L’interrogation sur l’origine de l’explosion est donc légitime. Est-ce que cette quantité de matière chimique dangereuse a accidentellement explosé ou y a-t-il eu une intervention extérieure et si oui, laquelle? Quoiqu’il en soit, ce pays vit une catastrophe d’une extrême gravité.

Les hôpitaux ne peuvent plus s’approvisionner en matériel médical.

Depuis 10 jours le pays s’était reconfiné à cause de l’épidémie de Covid-19, qui affecte fortement le pays. Comment les hôpitaux vont pouvoir faire face à cet afflux de blessés?

Le 4 août, les immeubles de Beyrouth ont été soufflés sur une vingtaine de kilomètres autour du site. Les dégâts matériels et économiques sont immenses. Or les hôpitaux se réduisent comme peau de chagrin en raison de la crise financière. Ils ne peuvent plus s’approvisionner en matériel médical. Dans une déclaration télévisée, le ministre de la Santé, Hamad Hassan, a indiqué que le pays était «en pénurie de tout ce qui est nécessaire pour porter secours» aux victimes et les soigner.

L’aide humanitaire, bienvenue en elle-même, est de nature émotive, immédiate et éphémère. Ce qui soulagera le Hezbollah sera accueilli, le reste sera repoussé. Et s’il est bon aujourd’hui de s’afficher auprès des victimes, l’aumône ne permettra pas de reconstruire une nation qui n’a pas de feuille de route.

Des manifestations de très grande ampleur avaient déjà secoué le pays en octobre 2019, lorsque les premiers signes de l’effondrement économique s’annonçaient. Depuis, le Liban connaît une très forte récession. Cette tragédie est-elle celle de trop? Le pays du Cèdre pourra-t-il se relever?

En un peu moins d’un an, les prix des produits de base ont bondi de 169 %, car la Livre libanaise s’est effondrée et tout ce qui est importé est hors de prix. Dans le même temps, le chômage a grimpé de 35 % et on estime que le pouvoir d’achat des ménages a chuté de 85 %. En mai dernier, le pays s’est déclaré en défaut de paiement et a engagé des négociations avec le FMI pour restructurer sa dette et renflouer son économie. Et voilà qu’arrive une nouvelle catastrophe.

Il sera difficile pour le pays du Cèdre de se relever de cette crise structurelle, doublée de la catastrophe de ces dernières heures.

Les stocks de blé ont été détruits par l’explosion. Des travaux importants seront nécessaires pour réparer et réhabiliter la capitale. Et les Libanais vont être encore davantage pénalisés dans leur quotidien. Il sera difficile pour le pays du Cèdre de se relever de cette crise structurelle, doublée de la catastrophe de ces dernières heures.

De façon plus générale, encerclés par nombre de crises régionales majeures, les Libanais ont perdu leur indépendance et leur modèle libéral, unique dans les pays arabes et source de leur prospérité. La méritocratie a été remplacée par le clientélisme. La classe moyenne, auparavant le socle du pays, a glissé dans la pauvreté. Les réfugiés syriens pèsent d’un poids très lourd et la famine frappe aux portes. Le Liban, maillon faible des conflits régionaux, pâtit du communautarisme ainsi que de l’incompétence et de la corruption de sa classe politique.

Le Hezbollah, qui a conduit l’État libanais à la faillite, doit devenir un parti politique comme un autre et abandonner ses armes. Le pays ne peut pas confier son destin à une milice messianique aux mains de Téhéran. Or la révolte du 17 octobre 2019 a vite été étouffée par l’intimidation de la milice chiite et de la classe politique, sans compter que l’épidémie de Covid-19 a fait rentrer chacun à son domicile. La conjoncture, régionale, nationale, et internationale conduit à dresser un tableau très sombre, qui n’augure rien de réjouissant. Le Liban a besoin d’un Etat normal dans lequel les institutions jouent leur rôle.


Par Aziliz Le Corre. (Le Figaro)

 

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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