30/05/2006 Texte

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Messianique, l'Iran s'engage dans une logique de guerre

Téhéran poursuit l'escalade dans son dossier nucléaire, défie la communauté internationale et prépare son intrusion dans le club des puissances nucléaires. Il cherche à intimider ses voisins arabes et à humilier les Occidentaux. Le triomphe de Téhéran condamnera les monarchies pétrolières du Golfe à la soumission et permettra à l'Iran de contrôler directement ou indirectement plus de 60% des réserves mondiales de pétrole. Le discours anti-israélien et anti-juif de Téhéran, plébiscité par l'opinion publique arabe, accroît les difficultés internes de ces régimes. Réunis en mini-sommet à Riyad, ce 6 mai, les monarchies arabes du Golfe ont exprimé de façon solennelle leur inquiétude à l'égard du nucléaire iranien. Dans l'épreuve en cours, les mollahs cherchent à diviser la communauté internationale, à user les nerfs des Occidentaux, à acheter le soutien ou la neutralité de la Chine et de la Russie, à solliciter l'appui des pays du tiers-monde...

Pour comprendre ce choix, il faut se référer au comportement messianique d'Ahmadi-Nezhad, le disciple de l'Ayatollah-Ouzma Mousbah Yazdi, le président de l'Université islamique de Qom. Ce dernier est convaincu que la mission de son disciple est d'accélérer le retour du douzième Imam (le Mahdi) pour faire triompher le chiisme. Le Mahdi devra réapparaître dans la mosquée de Jamkarane, à proximité de Qom, par laquelle transite son âme chaque semaine, dans la nuit de mardi à mercredi, et où des dizaines de milliers de fidèles se pressent, dans le recueillement. La première décision prise par Ahmadi-Nezhad après son élection a été de consacrer 20 millions de dollars à l'agrandissement de cette mosquée. Ce fidèle de Khomeyni veut relancer «l'exportation de la révolution» et rompre avec la doctrine de son prédécesseur Khatami qui prônait le «dialogue entre les civilisations».

Bien que les armées américaines l'encerclent sur terre et en mer, l'Iran fait une analyse avantageuse du rapport des forces et parie sur l'enlisement américain en Afghanistan et en Irak, sur le coût exorbitant de ces conflits, sur la perte d'environ de 3000 soldats américains et sur les multiples difficultés domestiques de George Bush, pour conclure hâtivement à l'incapacité de Washington de s'engager sur de nouveaux fronts, au moment où il manque de fantassins.

Aussi, l'économie internationale ne supportera pas une plus grande poussée tarifaire consécutive à un nouveau conflit. Outre l'arrêt de ses exportations, Téhéran menace de bloquer le détroit d'Ormuz et de priver l'économie mondiale de 20% de sa consommation. Téhéran dispose aussi de cartes majeures pour intimider les Américains: la présence massive d'agents iraniens en Irak, le prépositionnement du Hezbollah libanais sur la frontière d'Israël, qui a reçu une quantité de missiles et des drones.

La stratégie régionale de Téhéran lui a permis de placer de facto une large partie de l'Irak avec ses ressources d'hydrocarbures sous son contrôle. Désormais, le «Croissant chiite» s'étend de Téhéran à Beyrouth en passant par Bagdad et Damas, avec une extension récente en Palestine. Une fois cet axe consolidé, Téhéran pourrait se retourner vers la péninsule Arabique et ses richesses minières. Car, la majorité des gisements saoudiens se trouve dans le Hassa, peuplé de chiites.

Téhéran estime avoir atteint un niveau d'influence politique et de puissance militaire jamais égalé depuis des siècles. Tel Nasser et Saddam, le président iranien présume cependant de ses forces. Il se prépare à la confrontation et a fait rapatrier une grande partie de ses avoirs en devises et en or.

Face à l'Iran, la communauté internationale avance à reculons. La Chine a signé des contrats d'approvisionnements de gaz et de pétrole à long terme. La Russie est devenue le premier fournisseur de l'Iran, notamment en technologie et en matériel de guerre. L'Inde est courtisée par Téhéran avec le futur gazoduc IPI, via le Baloutchistan pakistanais.

Dans le cas où le Conseil de sécurité hésiterait à aller jusqu'au bout de la logique de sanctions ou se diviserait, l'unilatéralisme américain serait opérant, une fois de plus. La stratégie de diabolisation de l'Iran aux Etats-Unis a connu un regain d'intérêt en mars 2006. Téhéran est désormais qualifié d'«ennemi numéro un». Convaincu qu'il est chargé d'une mission sacrée, débarrasser le monde d'un Hitler en herbe, Bush serait d'autant plus déterminé qu'il aborde la deuxième partie de son dernier mandat.

Si la dynamique de guerre continue sur cette lancée, elle débouchera sur deux formes, non exclusives, de conflit: des frappes militaires sur des centaines de sites pour stopper le programme militaire ou tout au moins le retarder, avec l'espoir secret de renverser la mollarchie; des encouragements au soulèvement des fortes minorités maltraitées vivant dans les zones frontalières, kurdes, azéries, baloutches, turkmènes et arabes.

Depuis quinze mois, la principale province pétrolière du Khouzistan, peuplée d'Arabes, connaît attentats et sabotages, suivis de représailles. La contestation a gagné le Baloutchistan, où vingt-deux membres des forces de l'ordre ont récemment trouvé la mort. Des tentations de démembrement ethnique ou religieux peuvent occuper l'Iran de l'intérieur, le plonger dans une guerre civile et l'épuiser. Mais il semble que cette voie subversive soit mal engagée. La CIA a perdu la main depuis la chute du chah, en 1979, et manque terriblement de renseignements humains.

Autre hypothèse: le repli américain sur le Kurdistan et le Koweït, laissant les chiites et les sunnites s'entre-tuer au centre et au sud de l'Irak. Téhéran rentre alors dans des conflits gigognes opposant les chiites (10% de l'ensemble des musulmans) aux sunnites; et les Arabes aux Perses. Une telle bataille se déroulerait à proximité des gisements de pétrole. Elle nuira lourdement à l'économie internationale.

Dans la perspective d'un conflit, Washington peut compter sur les régimes arabes qui redoutent l'hégémonie iranienne, son arrogance et ses intimidations. L'annonce de nouvelles armes développées par Téhéran et les manœuvres entreprises au large de leurs côtes leur font peur. Ils redoutent aussi que leurs minorités chiites ne revendiquent de nouveaux droits et ne cherchent à déstabiliser leurs pays pour le compte de Téhéran.

Si Washington détient un avantage décisif dans un conflit classique, l'Iran pourrait prendre l'avantage dans la guerre subversive qui suivra. Ce conflit pourrait déboucher sur le recours à des armes non conventionnelles. Son onde de choc provoquerait une guerre d'usure qui dépasserait le seul théâtre du Moyen-Orient.

Pour parvenir un jour - bien lointain - à la stabilité régionale, il faudrait créer un Organisme de sécurité commune qui bâtirait la confiance entre les différentes puissances régionales sans exclusion: de la Turquie à l'Iran, en passant par les principaux pays arabes, Israël et les Etats-Unis. L'Europe devrait accélérer la construction de sa politique étrangère et de sa défense communes pour s'imposer, comme acteur stratégique dans cette région, tellement importante pour sa sécurité et ses approvisionnements. Faute de quoi, les Puissances asiatiques occuperont la place, en partenariat avec Washington.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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