08/03/2019 Texte

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Antoine Basbous : «On assiste à une véritable lame de fond en Algérie»

Pour le politologue Antoine Basbous, spécialiste du monde arabe et musulman, la grève générale en Algérie est possible dans les jours qui viennent. La seule solution, selon lui, est un report du scrutin.

Quelle est votre évaluation de la mobilisation de ce vendredi ?

Il y a un effet boule de neige d'un vendredi à l'autre, avec la mobilisation de toute la société civile, des jeunes, des vieux, de toutes les orientations politiques et régionales. On voit se propager  une véritable lame de fond de gens qui n'ont plus peur, qui ne sont plus prêts à se laisser anesthésier ou acheter par le pouvoir. Le fait que les manifestations soient pacifiques, organisées pour éviter les incidents tels que ceux provoqués par des casseurs la semaine dernière, et même pour nettoyer les rues à la fin des cortèges, montre un mouvement mûr, instruit par la décennie noire et qui fera tout pour éviter le chaos brandi par le régime. On constate aussi des défections significatives au sein du régime, du FLN, de l'organisation patronale, des syndicats, des médecins, des avocats, des organisations des fils de martyrs et  des anciens moudjahidines.
 

Quels sont les scénarios de sortie de crise ?


Il est impensable d'imaginer une invalidation pour raisons de santé de Bouteflika jeudi prochain par le Conseil constitutionnel, car cela conduirait automatiquement à la victoire le 18 avril du général Ali Ghediri, qui ne convient ni au régime ni, de surcroît, à la rue, puisqu'il s'est maintenu à la présidentielle désertée par tous les autres candidats. Je ne peux pas imaginer non plus le maintien envers et contre tout de la candidature de Bouteflika, alité depuis six ans, une véritable humiliation pour les Algériens, la « horga », le mépris des puissants. La seule solution est un report de l'élection au vu des risques de troubles, ce qui laisserait le temps au régime de désigner un successeur. On peut imaginer une transition comparable à la «régence » du Haut Comité d'Etat en 1992, afin de tenir le pays jusqu'à l'organisation d'une nouvelle élection, avec une nouvelle Constitution. Mais un simple rafistolage serait insuffisant au vu de la dynamique actuelle, qui réclame un changement complet du système politique. Les gens ne veulent pas seulement le départ de Bouteflika et de son clan, mais tourner la page de son « régime ». Il faut toutefois noter que si la rue est unanime pour réclamer le départ de Bouteflika, elle n'est pas structurée pour proposer une alternative, ce qui laisse une marge de manoeuvre au régime pour se réinventer avec des dirigeants non issus des années soixante.

Quel peut être l'agenda de ce que l'on appelle « l'Etat profond », des courants puissants mais peu visibles du pouvoir algérien ?

L'Etat profond existe et est structuré essentiellement autour des anciens du MALG, le premier service de renseignement et d'action clandestine pendant la guerre d'indépendance, devenu ensuite le DRS, puis DSS. Ils sont depuis très influents dans la vie politique, sociale, économique du pays, ont placé des relais partout, dans l'armée et l'administration. Ils font partie de ceux qui détiennent une des clés de la solution, même si on ne discerne pas encore laquelle. Mais on voit bien qu'ils ont rompu avec Bouteflika, la vitrine du « système » actuel.

Publié par Yves Bourdillon (Les Echos)
 

 

 



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