25/01/2015 Texte

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Arabie Saoudite, en attendant le "vrai" roi

François Hollande et Barack Obama se sont rendus samedi à Ryad pour présenter leurs condoléances au nouveau roi Salmane mais aussi et surtout au futur prince héritier, le "jeune" Mohammed Ben Nayef.

"La première chose que font les rois lorsqu'ils arrivent sur le trône, c'est de doter le palais d'une nouvelle clinique ultramoderne." Antoine Basbous, le directeur de l'Observatoire des pays arabes, résume en une phrase ce que la plupart des dignitaires étrangers en visite à Ryad depuis samedi savent de la santé du nouveau roi Salmane d'Arabie saoudite. À 79 ans, celui qui a succédé à son demi-frère Abdallah, mort à l'âge présumé de 90 ans, souffre de problèmes de santé. Bien que ce domaine relève du secret d'État, on dit le souverain atteint de la maladie d'Alzheimer tandis que d'autres sources évoquent pudiquement une "démence sénile". Tout cela pour comprendre que son passage sur le trône pourrait être de courte durée et que son héritier désigné, le prince Moqren, 70 ans, le plus jeune des 35 fils du fondateur du royaume, sera, lui aussi, un monarque de transition. D'où l'intérêt accordé, par les partenaires de l'Arabie saoudite comme par ses ennemis, à celui qui incarnera la "vraie" relève, le neveu du souverain, Mohammed Ben Nayef, 55 ans. Ce qui ne saurait tarder : "Salmane n'en a plus pour longtemps", pronostique Antoine Basbous.

Le conservatisme préservé

"Le choix du saut générationnel est une avancée relative", analyse Myriam Benraad, spécialiste du monde arabe au Centre d'études et de relations internationales (Ceri-SciencesPo). "Car si cette relève correspond à la réalité d'une société très jeune sur le plan démographique, le pays reste ancré sur une base conservatrice sur le plan religieux." Mais pour les partenaires arabes ainsi que pour les alliés occidentaux, l'un des critères essentiels reste la lutte contre le terrorisme et les rapports avec l'Iran dans le contexte de la guerre entre sunnites et chiites au Moyen-Orient.

"Ben Nayef était en fait le quasi-chef du gouvernement et il le reste", commente Antoine Basbous. "Il a été aux manettes dans l'ombre de son père, lui-même ministre de l'Intérieur pendant plus de trente ans. Avec lui, il a vaincu Al-Qaida entre 2003 et 2006." Allusion au changement radical de position du pays face au terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001 et de Ryad en 2003. En 2010, c'est Ben Nayef lui-même qui préviendra les dirigeants américains d'un complot d'Al-Qaida depuis le Yémen visant à détruire deux avions cargos à destination des États-Unis. Les bombes avaient été découvertes, l'une lors d'une escale en Grande-Bretagne et l'autre en transit à Dubai. Le prince avait déjà essuyé lui-même quatre tentatives d'assassinat, dont une par un kamikaze se présentant comme un repenti d'Al-Qaida lors d'une visite par le ministre dans un centre de "réhabilitation" pour terroristes.

Cinq mille Saoudiens avec Daech

Cette conversion saoudienne à la brutale réalité du terrorisme, Ben Nayef l'a également expérimentée à propos de Daech. "Al-Qaida et Daech sont deux créations des Saoud même si les dirigeants ne l'admettront jamais", décrypte Myriam Benraad. "N'oublions pas que parmi les combattants de Daech, il y a aujourd'hui 4.000 à 5.000 Saoudiens engagés à leurs côtés. Ils ont créé un monstre et subissent aujourd'hui le retour du boomerang." D'où la décision l'an passé du régime saoudien de rentrer dans la coalition internationale contre l'organisation État islamique, qui menace désormais de s'en prendre au protecteur des lieux saints, à l'Arabie, le berceau de l'islam.

Quant à l'Iran, dont le chef de la diplomatie était samedi à Ryad, "les deux pays ont beau s'être approchés lors de rencontres bilatérales, ces efforts n'ont abouti à rien, remarque un diplomate européen familier des dossiers de crise. Je pense que les Américains finiront par obtenir, avec les grandes puissances, un accord avec l'Iran, et ce serait bien que les Saoudiens finissent par monter à bord de ce train avant qu'il ne soit trop tard".

François Clemenceau - Le Journal du Dimanche

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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