11/06/2014 Texte

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Libye: la menace terroriste dans le viseur de ses voisins

À deux semaines des élections législatives en Libye, la question de l’insécurité dépasse largement la sphère des préoccupations nationales. Selon le quotidien algérien « El Watan », l’armée algérienne aurait en effet franchi le pas et installé quelques milliers d’hommes au-delà de la frontière avec la Libye, afin de contrer la menace terroriste. Entretien avec Antoine Basbous, politologue directeur de l’Observatoire des pays arabes.

JOL Press : Selon le quotidien algérien El Watan, l’Algérie aurait déployé des troupes à la frontière libyenne. Pourquoi l’Algérie cherche-t-elle à sécuriser son territoire ?
 
Antoine Basbous : D’abord parce que s’occuper de la sécurité de son territoire est une mission prioritaire pour chaque État. Ensuite, l’Algérie a été traumatisée par l’attaque du site gazier d’In Amenas en janvier 2013, au cours de laquelle pas loin de 70 personnes sont mortes (entre les terroristes et les travailleurs du secteur). Aujourd’hui, le complexe gazier n’a toujours pas repris ses exportations et n’a pas encore retrouvé les expatriés indispensables à son fonctionnement, tant l’attaque islamiste en provenance du territoire libyen a été traumatisante.

JOL Press : Le Premier ministre algérien a cependant nié l’intervention de l’armée en Libye, d’ailleurs interdite par la Constitution...
 
Antoine Basbous : À l’heure actuelle, la Constitution algérienne interdit en effet l’envoi de troupes en dehors du territoire national. Mais la Constitution est actuellement en discussion et semble vouloir changer de cap et ouvrir la voie à une certaine « ingérence » lorsque les intérêts de l’Algérie sont mis en cause. Or le commanditaire de l’attaque d’In Amenas est Mokhtar Belmokhtar, terroriste algérien qui se réfugie vraisemblablement entre le nord du Mali et le sud de la Libye. L’Algérie voudrait donc se doter de l’argument constitutionnel qui lui permettrait d’aller défendre ses intérêts au-delà des frontières et de pouvoir neutraliser ce type de terroristes et d’anticiper les attaques.

JOL Press : La Libye accepterait-elle ce genre d’intervention militaire étrangère sur son territoire ?
 
Antoine Basbous : Il n’y a plus de véritable pouvoir aujourd’hui en Libye. L’État s’est effondré et le gouvernement actuel ne demanderait pas mieux que de voir des pays voisins l’aider à neutraliser ces terroristes, qui se trouvent aujourd’hui dans plusieurs « sanctuaires », notamment dans le grand sud et dans Derna, ville dans laquelle, selon un ministre du gouvernement libyen actuel, il n’y a plus un seul agent de l’État. Il y aussi des « poches » et des quartiers entiers contrôlés par les terroristes qui se trouvent à Tripoli et à Benghazi. Bref, le gouvernement actuel est impuissant et aimerait être soutenu, soit par le voisin égyptien, soit par le voisin algérien, et au mieux par les deux.

JOL Press : Les États maghrébins aurait dû récemment se réunir pour évoquer la situation libyenne, mais la réunion a été reportée. Pourquoi ne parviennent-ils pas à s’accorder sur la question ?
 
Antoine Basbous : Les États maghrébins sont paralysés par la querelle algéro-marocaine sur le Sahara occidental. Dès lors que l’Algérie voit rouge, le Maroc voit noir, et vice-versa. Ils ne peuvent donc pas s’accorder et s’entraider sur un sujet pareil. Ils sont en rivalité, et il n’y a rien à attendre venant de l’Union du Maghreb arabe (UMA), qui est une organisation morte mais dont on n’a pas publié le faire-part.

JOL Press : En Libye, le général dissident Khalifa Haftar a lancé l’« opération Dignité » contre le terrorisme et les islamistes. Peut-on faire un parallèle entre le général Haftar et le maréchal al-Sissi, nouveau président égyptien, qui lutte également contre les islamistes ?
 
Antoine Basbous : La comparaison serait trop facile mais erronée. En Égypte, il y a en effet toujours eu un État, une armée et des services administratifs alors qu’en Libye, il n’y a jamais eu d’État. Il y avait Kadhafi et sa famille et avec leur disparition, ils ont tout emporté dans leur tombe ou dans leur prison. Le maréchal al-Sissi pouvait s’appuyer sur l’État profond, sur les services, sur l’administration et sur une armée qui contrôle le tiers du PIB national, qui est forte, déployée et enracinée dans le pays.

Haftar, lui, est venu ressusciter une partie de l’armée parce qu’elle avait déserté les casernes sous l’ancien état-major. Il veut recréer cet état-major et se donne pour mission de combattre le terrorisme. Haftar n’est pas, selon moi, une grande lumière. Il n’a jamais été un gagnant jusque-là, même si son combat est partagé par beaucoup de Libyens et qu’il arrive malgré tout à rassembler autour de lui la plupart des forces de l’armée et de la police.

JOL Press : Des élections législatives ont lieu le 25 juin en Libye. Le pays a-t-il les capacités d’organiser ces élections ?
 
Antoine Basbous : Si l’agenda électoral est respecté, cela serait une probable belle sortie par le haut. Mais les Libyens sont à fleur de peau, il y a beaucoup de divisons, de contradictions et de polarisations au sein de la société civile, et il est indispensable que le pays s’approche du 25 juin en paix pour que les gens puissent aller voter et qu’on ne leur vole pas le sens de leur vote. C’est une échéance qui représente donc de l’espoir, mais un espoir sur lequel il faut poser un grand point d’interrogation.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press
(Cliquez ici pour voir l'original)
 

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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