13/04/2004 Texte

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Interview d'Antoine Basbous : « Un résultat programmé et arrangé »

Le Directeur de l'Observatoire des Pays Arabes

Comment interprétez-vous la victoire écrasante d'Abdelaziz Bouteflika ?

C'est un résultat programmé et arrangé. Tout a commencé avec l'élimination, sans recours possible, d'un candidat sérieux, Ahmed Taleb Ibrahimi, par le Conseil constitutionnel avant le scrutin. Ensuite, nous avons eu l'apparence d'une campagne pluraliste, mais dont le résultat est presque un score à la soviétique. Il ne faut pas s'y tromper : les anomalies de ce scrutin sont nombreuses, à commencer par la distribution de l'argent public, à hauteur de milliards de dinars, par le président candidat et l'instrumentalisation de la justice et de l'administration. L'armée, qui a promis d'être neutre, ne leur a pas imposé cette même impartialité. Cet exercice a été très formel, répondant aux demandes de l'Occident, notamment des Etats-Unis et de l'Union européenne, désireux que le monde arabe progresse dans la voie de la démocratie.

Ce résultat a-t-il le blanc-seing de l'armée ?

L'armée reste aussi opaque qu'insondable. Le plus probable est qu'il existe plusieurs courants en son sein, dont l'un représenté par Mohamed Lamari, le chef d'état-major, Khaled Nezzar, l'ancien ministre de la Défense, et bien d'autres officiers qui ne font pas confiance au président Bouteflika et auraient souhaité le remplacer par un homme qui ne les menace pas. Un autre courant a sans doute négocié avec le président candidat pour que la haute hiérarchie miliaire ne soit pas inquiétée dans des enquêtes à venir sur le thème du « Qui tue qui ? » en Algérie. Mais il n'y aura pas de conflit, au sein de l'armée, pour remettre en question le résultat des élections, particulièrement après les félicitations parvenues de Paris et Washington. Par contre, le premier enjeu pour Abdelaziz Bouteflika, qui rêve de devenir un nouveau Boumediene, est de détenir tous les leviers du pouvoir entre ses mains. Pour y parvenir, il va devoir renvoyer chez elle cette caste militaire, dont une large partie a dépassé les soixante-cinq ans, après lui avoir apporté les garanties et remerciements d'usage, pour la remplacer par des « fidèles » qui lui devront leurs postes. Il devrait aussi reprendre en main la scène partisane, particulièrement le FLN, dont le candidat, Ali Benflis, a été affublé d'un score déshonorant.

Elu haut la main, Abdelaziz Bouteflika n'a-t-il pas les mains libres pour réformer le pays comme il le souhaite ?

Jusqu'à maintenant, on ne pouvait qu'être déçu par les promesses de réformes toujours non tenues : réforme bancaire, réforme du secteur foncier, réforme du secteur énergétique, deux fois rejetée à cause d'intérêts « invisibles », opposés à des réformes jugées trop libérales. Si le score d'Abdelaziz Bouteflika n'est pas contesté de façon sérieuse, il aura la légitimité apparente pour aller de l'avant. L'Ugta, notamment, qui a soutenu le président, pourra difficilement s'opposer à ces réformes. C'est au président de jouer, de convaincre, d'avancer vite... Car c'est bien le paradoxe : l'Algérie n'a jamais eu les caisses aussi remplies de devises, mais la manne pétrolière n'a jamais été aussi mal distribuée, ne profitant pas à la population, notamment aux plus nécessiteux. Cela explique la multiplication des jacqueries qui éclatent de façon spontanée et imprévisible et qui sont devenues le principal mode de contestation de la population. Jusqu'à maintenant, les autorités ont juste été confrontées à la rébellion en Kabylie, où le pouvoir n'a toujours pas trouvé de réponse. Tant qu'il n'existe qu'une seule crise majeure, c'est gérable. Cela deviendrait plus dur pour le pouvoir central si plusieurs crises, révélatrices des frustrations de la société, éclataient en même temps.

Propos recueillis par L. T

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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